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Le TPIR laisse derrière lui un bilan juridique lacunaire

Par 2015-05-31 11:33:37

[caption id="attachment_1185" align="aligncenter" width="750"]Nephtal Ahishakiye Nephtal Ahishakiye[/caption]


 

A la veille de la cessation de ses activités, le parcours du bilan du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) prouve que, malgré ses réalisations incontestables, il se sera plus préoccupé de la justice criminelle au détriment de la justice réparatrice.

Le Génocide planifié, perpétré contre les Tutsi s’est déroulé en 100 jours. Il a coûté la vie à 1.074.017 victimes dont 934.218 nommément identifiées (la différence vient du fait que, pour certaines victimes recensées, notamment les très jeunes enfants, on n’a pas pu établir une identité complète) et des destructions massives énormes.

Le monde a retenu que le génocide contre le Tutsi en 1994 est le dernier génocide du 20 ème siècle. Quand la communauté internationale a remarqué que le génocide a été bel et bien commis au vu et au su de tout le monde, le conseil de sécurité des Nations Unies a créé le Tribunal Pénal International pour le Rwanda ((TPIR) par la résolution 955 du 8 octobre 1994.

A son démarrage le TPIR avait une mission de se pencher sur les procès ayant trait au Génocide perpétré contre les Tutsi en 1994, et barrer le chemin à une guerre qui risquait de se prolonger et menée par des ex- Génocidaires (militaires et civils de haut rang) encore nostalgiques qui pouvaient créer des groupes armés.

De même, le TPIR se devait de rendre une justice équitable, à la fois criminelle et réparatrice, et contribuer ainsi à entretenir l’unité et la réconciliation nationale.

C’est par cette seule voie que les victimes du Génocide et les bourreaux devaient se réconcilier facilement et de façon durable.

Bientôt le TPIR va fermer et les travaux qui ne seront pas achevés vont être du ressort du Mécanisme pour la Cour Pénale Internationale (MICT) mis en place par l’Organisation des Nations Unies pour gérer les dossiers qui seront laissés par le TPIR (pour le Rwanda). C’est le moment de dresser le bilan.

Selon l’organisation pour la défense des Intérêts des Rescapés du Génocide contre les Tutsi, Ibuka ou littéralement Souviens-toi, il ya un bilan positif pour le TPIR et il ya un bilan négatif.

”Du moins ils ont reconnu le génocide contre le Tutsi”

Selon le secrétaire Exécutif de l’Ibuka, M. Nephtal Ahishakiye, il faut apprécier la mise sur pied rapide du TPIR et son existence en soi. ”C’est un fait que la communauté internationale qui a abandonné le Rwanda lors du Génocide contre les Tutsi a vite reconnu qu’il ya eu bel et bien le génocide.”

Il faut, selon Nephtal Ahishakiye d’IBUKA, apprécier qu’il ya eu de jugements pour les grands criminels et cela ne serait pas facile pour le Rwanda de les juger vu le contexte post génocide.

Pour M. Nephtal Ahishakiye, les mandats d’arrêt internationaux contre les criminels ont brisé leur libre mouvement en dehors du Rwanda et ils sont restés fugitifs, ce qui coupait l’élan à leurs vieillîtes négationnistes. Dans ce sens la communauté internationale a confiance dans le TPIR.

L’organisation Ibuka, qui reste satisfaite de l’esprit et de la volonté de rendre justice par le TPIR, a remarqué que l’on n’a omis de penser à la réparation car une justice pénale va avec la réparation en faveur de la personne lésée.

Il a fait remarquer que certains membres du staff de la TPIR avaient trempé dans le génocide, qu’il ya eu des procès qui ont accordé des largesses aux responsables lors du génocide et la recherche des preuves à conviction par des moyens durs. Il cite les cas d’obliger les témoins lors des procès de viol de témoigner publiquement, ce qui est une sorte de torture morale.

Des jugements ont été prononcés

Le Procureur du TPIR a livré 93 mandats d’arrêts internationaux concernant les personnes de plusieurs catégories qui ont joué un rôle majeur dans le génocide contre les Tutsi : il ya parmi eux les politiciens, les membres du gouvernement, les militaires, les religieux, les journalistes et même des petites gens qui se sont illustrés dans le génocide comme Mika Muhayimana qui fut conseiller de secteur mais qui était en avant lors du génocide.

Selon M. John Bosco Siboyintore, procureur national responsable de la cellule chargée de traquer les suspects de Génocide vivant à l’étranger, le bilan des jugements est appréciable : 83 ont été arrêtés,75 ont été jugés, 65 d’entre eux ont été reconnus coupables et ont été condamnés,10 ont été innocentés et relâchés et il ya eu 3 personnes qui sont mortes avant leur jugement comme Juvénal Uwilingiyimana mort en Belgique, Joseph Nzirorera mort à Arusha quand son procès était en cours et Mgr Samuel Musabyimana, ex-évêque de Shyogwe.

L’on peut noter aussi qu’il ya 2 personnes contre lesquelles le TPIR a décidé d’abandonner des poursuites. Il s’agit du Colonel Léonidas Rusatira dont le dossier n’était pas consistant et le Col Bernard Ntuyahaga jugé en Belgique.

Neuf personnes se trouvent encore en cavale

Avant que le TPIR ne ferme, il a décidé d’envoyer les dossiers de certains suspects au Rwanda : Jean Uwinkindi, Bernard Munyagishali qui sont déjà au Rwanda et 6 personnes en cavale : Fulgence Kayishema (IPJ Commune Kivumu), Charles Sikubwabo (bourgmestre Gishyita), Lt Col Phénéas Munyarugarama, Aloys Ndimbati (bourgmestre Gisovu), Ladislas Ntaganzwa (bourgmestre Nyakizu) et Charles Ryandibayo, qui fut commerçant à Kibuye.

Le MICT qui va avoir son siège à Arusha et La Haye va se saisir des dossiers de Félicien Kabuga, Protais Mpiranya et Augustin Bizimana. Selon le site d’information du TPIR avant la clôture, il faudra rendre le jugement final pour le groupe de Butare qui comprend Pauline Nyiramasuhuko, Shalom Arsène Ntahobali, Joseph Kanyabashi.

Un apport important dans la jurisprudence

La convention de 1948 sur le génocide des juifs définissait les actes constituant le crime du génocide et annonçait que le génocide est une forme d’extermination d’un groupe de population ou tout un peuple basée sur la race, l’ethnie ou la tribu, la nationalité, la religion, la couleur de la peau et même les idéologies.

Les différents procès prononcés par le TPIR ont ajouté quelque chose de nouveau dans les jugements des crimes du génocide. Avec le procès de Jean Paul Akayezu, le viol et la violence sexuelle ont été reconnus comme faisant partie du crime du génocide.

”C’est un fait sans précédent que les procès du TPIR ont apporté à la justice internationale” a affirmé Nephtal Ahishakiye. Tandis que pour Siboyintore, c’est un précédent juridique.

Les mêmes interlocuteurs affirment que les procès auprès de la TPIR ont contribué à la lutte contre l’impunité car les aveux de Jean Kambanda ont prouvé que personne n’est au dessus de la loi.

Encore, il se trouve que le procès des médias à Arusha a bousculé la conception classique de la liberté de presse et d’expression, en condamnant les responsables et journalistes de la radio et de la presse écrite (Hassan Ngeze, Ferdinand Nahimana, Georges Ruggiu, et Barayagwiza). Il a été remarqué l’on peut poursuivre les criminels médiatiques qui incitent à commettre le génocide au delà de la liberté d’expression chère aux hommes et femmes des médias.

Il faut ajouter que le Procès de Edouard Karemera et alii, en 2006, a permis de définir et de nommer ”le génocide contre le Tutsi ”. Sur ce point, le secrétaire général d’Ibuka, M.Nephtal Ahishakiye, reconnait que c’est le TPIR qui prononça cette appellation pour la première fois, de quoi éviter de l’amalgame aux négationnistes.

Un autre fait nouveau dans la jurisprudence est que le procès de l’abbé Seromba en première instance avait exigé une peine de 15 ans et le parquet a fait appel. Et la peine a été revue pour prononcer à son encontre une perpétuité du fait même d’assister à un crime du génocide de près ou de loin pour un responsable comme ce fut pour l’abbé Seromba de la démolition de l’Eglise de Nyange. Ces faits ont constitué un antécédent juridique pour les procès du génocide.

[caption id="attachment_1186" align="aligncenter" width="810"]Jean Bosco Siboyintore Jean Bosco Siboyintore[/caption]


 

Les acquittés du TPIR jouissent de tous les droits de citoyens rwandais

Dans une entrevue avec le Procureur Jean Bosco Siboyintore qui coordonne à l’Organe de Poursuite Judiciaire (Ex Parquet Général) à Kigali les activités de la Cellule chargée de traquer les suspects de Génocide vivant à l’étranger, ce dernier a confié au journal ”La Nouvelle Relève” que les ex-présumés coupables du Génocide inculpés, jugés et acquittés par le TPIR jouissent de tous les droits de citoyens rwandais et peuvent donc s’installer sur le territoire rwandais ou dans un autre pays de leur choix.

Etant donné qu’il ya certains droits de citoyen dont on est parfois privé en cas de condamnation à une peine allant au delà de 6 mois, mais que l’on peut recouvrer après cinq ans pourvu que l’on se soit bien comporté, Siboyintore informe que les acquittés du TPIR bénéficient aussi de ce droit.

Cette disposition sur la réhabilitation des personnes acquittées se lit dans le livre du Code de Procédure Pénale du Rwanda, Art 259, pendant que l’Art 264 prévoit quant à lui les modalités de demande de réhabilitation.

Ainsi donc, lorsque la personne acquittée est un civil, elle adresse sa demande à la Haute Cour de justice, tandis que lorsqu’il s’agit d’un ex-militaire, il adresse sa demande de réhabilitation à la Haute Cour militaire.

Selon Siboyintore, dans sa lettre, le demandeur de réhabilitation précise la date exacte de son acquittement et de son élargissement et le(s) lieu(x) de séjour durant les cinq ans qui ont suivi, afin de permettre d’établir les faits liés à son comportement intègre pendant ce temps.

Seulement, il précise qu’un jugement déjà prononcé ne peut être repris pour une deuxième fois pour ceux qui craindraient de retourner au Rwanda.

C’est à ce titre qu’il en profite pour expliquer que les demandes des récidivistes ne peuvent être examinées, néanmoins elles pourraient l’être dix ans après l’épuisement de la nouvelle sanction.
Le Rwanda parmi les pays d’accueil des condamnés du TPIR

Les ex-présumés génocidaires condamnés par le TPIR ont été, pour certains, incarcérés à Arusha même, pendant que d’autres vont purger leur peine dans les pays qui en ont fait la demande et se sont avérés remplir les conditions d’accueil requises par le TPIR.

A côté de l’Italie, le Mali et le Benin qui ont déjà accueilli des prisonniers d’Arusha, vient le Rwanda qui n’en a encore reçu aucun pour des raisons non encore connues, à en croire Siboyintore.
Quand bien même c’est le TPIR qui décide du pays d’accueil, le juge tient compte aussi du vœu du prisonnier.

La destination des archives d’Arusha encore inconnue

Le TPIR étant un tribunal de l’ONU, ses archives constituent ipso facto un patrimoine de l’ONU et leur gestion lui revient.

Toutefois, ces archives vont rester provisoirement à Arusha pour l’usage du MICT durant son mandat de 2 ans mais renouvelables par l’ONU. La question demeure sur la destination de ces archives après le travail du MICT !

Selon Siboyintore, n’importe quel pays membre de l’ONU a le droit d’en faire la demande, mais dans la logique des choses, ces archives appartiendraient au Rwanda comme pays victime de la triste réalité des faits contenus dans ces archives.

Etant donné que la sécurité de ces archives revient aussi à l’ONU, Siboyintore estime que cette activité pourrait se faire au Rwanda, car, dit-il, il est important de rapprocher et de concilier les informations contenues dans les archives et la réalité sur terrain.

Des défis majeurs persistent après le TPIR

Même si ce n’était vraiment pas le mandat primordial d’initier et d’asseoir une politique nationale post-Génocide, rendre une justice qui permettrait aux victimes du Génocide de bénéficier d’une réparation revenait à 100% à cette institution juridique onusienne.

Malheureusement, mentionne le Procureur Siboyintore, l’ONU n’a prévu aucun mécanisme en la matière, et à la fermeture du tribunal international, il est trop tard pour le faire.

A cette question, les Responsables du TPIR arguent que la réparation à faire aux victimes doit référer au pays où se sont déroulés les faits après avoir repassé en revue l’origine éventuelle de la réparation.
D’autre part, les victimes n’ont pas la capacité de savoir où sont localisés les biens et patrimoines de ces bourreaux de l’ancienne aristocratie afin de pouvoir faire un suivi pour leur réparation.

Dans la poursuite de sa double mission de rendre une justice criminelle équitable et une justice réparatrice favorisant une véritable réconciliation, d’aucuns affirment que le TPIR n’a pas atteint ses objectifs à 100%.

Pascal Niyonsaba & Jean Louis Kagahe


 

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