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La passation des marchés publics : la corruption malgré tout

Par 2015-07-20 11:47:33

[caption id="attachment_1577" align="aligncenter" width="756"]M. Célestin Sibomana chargé du renforcement des capacités auprès de RPPA (Photo Pascal Niyonsaba) M. Célestin Sibomana chargé du renforcement des capacités auprès de RPPA (Photo Pascal Niyonsaba)[/caption]


 

 

Au Rwanda il existe une agence de passation des marchés publics, le Rwanda Public Procurement Authority (RPPA). Sa mission actuellement n’est pas de procéder à la passation des marchés publics mais d’en assurer la supervision afin de respecter les normes et être sûr que la procédure est limpide.

Malgré cette volonté de vouloir bien faire de la part de l’Etat rwandais, il ya toujours des rapports qui dénoncent des cas de corruption dans la passation des marchés publics : la société civile, la commission parlementaire pour la gestion du patrimoine public et même l’office de l’auditeur général de l’Etat sont entre autre des institutions qui dénoncent des cas de corruption dans la passation des marchés publics.

Il ya aussi des individus isolés qui sont soit des entrepreneurs ou des responsables étatiques qui affirment avoir été en contact avec les corrupteurs dans le système de passation des marchés publics.

Les opinions divergent mais s’accordent sur le fait que malgré la tolérance zéro à la corruption au Rwanda, il ya quelques poches cachées qui entretiennent ce type d’agissement qui gangrène la bonne gouvernance.

Le Rwanda dispose d’instruments légaux de lutte contre la corruption dans toutes ses formes et des structures étatiques qui s’y mettent chaque jour pour éradiquer ce mal agir.

Dans une réunion consultative du17 juin 2015, le sénat rwandais par le biais de sa commission des affaires politiques et de la bonne gouvernance, s’est penché sur de nouvelles formes de corruption en général et la corruption dans la passation des marches publics a été souvent évoquée.

Dans cette réunion consultative, les présentations de la police nationale, de l’office de l’ombudsman et même de Transparency Rwanda ont mentionné que la corruption se sert de nouvelles technologies pour ne pas être perçue.

Ici l’on a mentionné le transfert d’argent via les services des compagnies de communication (MTN Mobile money, Airtel money ou Tigo cash). L’on a aussi mentionné les pratiques culturelles en vogue au Rwanda que l’on adopte pour donner la corruption. ”Gutwerera” ou la contribution au mariage de quelqu’un, un cadeau simple ”impano”, ”gusengerera” acheter des boissons alcoolisées ou pas, chaudes ou fraiches à quelqu’un pour lui demander un service.

Dans cet entretien, la passation des marchés publics a été citée comme la cible de la corruption : l’auditeur général des finances de l’Etat a fait savoir qu’il ya des pertes dans la malversation économique comme le trucage de la passation des marchés publics et il a souhaité qu’il y ait des mesures à prendre contre les responsables de tels délits. La sénatrice Marie Claire Mukasine membre du Réseau de parlementaires africains qui lutte contre la corruption -APNAC (African Parliamentarians‘ Network Against Corruption) a été claire.

” Nous avons un environnement, des lois , et des institutions favorables à la lutte contre la corruption, ce dont nous avons besoin est la discipline dans la lutte contre la corruption”. Le payement en ligne et la passation des marchés publics en ligne sont entre autre des recommandations qui ont un point d’orgue pour lutter contre la corruption.

La société civile note la corruption dans la passation des marchés publics

Les résultats d’une étude menée par Transparency Rwanda, la branche locale de Transparency international sur l’évaluation des contrats sur les travaux d’infrastructures au niveau du district (CONTRACT MONITORING IN THE INFRASTRUCTURE SECTOR AT DISTRICT LEVEL QUICK WIN PROJECT:SITUATION ANALYSIS) montrent que la corruption semble être partout dans tout le processus de passation des marchés publics.

L’étude affirme que la corruption va de l’identification de la compagnie qui soumissionne pour le marché jusqu’à l’étape de payement final. La même étude mentionne qu’il ya des éléments propres qui conduisent à la corruption et aux pratiques connexes.

Comme l’étude porte sur le niveau du district, elle est corroborée par des cas de contentieux d’ordre pénal qui concerne les autorités de base au niveau des districts qui sont souvent accusées de corruption dans la passation des marchés publics.

L’étude illustre ce que la population ordinaire qui ignore le processus de passation des marchés publics se pose comme question et pourquoi les instances décentralisées comme les districts se trouvent avec des cas de marchés publics biaisés et qui tournent au sens de la corruption.

Les enquêteurs de Transparency Rwanda sont partis d’un échantillon tout à fait représentatif, en respectant toutes les normes d’une enquête, en limitant la marge d’erreur et en faisant une analyse approfondie des données de façon que l’extrapolation reflète un minimum de réalité.

Selon l’étude, l’administrateur du budget qui interfère dans les décisions du comité de passation des marchés est source de corruption car il peut influencer la décision d’octroi du marché.

Au niveau du district le responsable du budget est le secrétaire exécutif qui est une autorité, or il ya toujours la culture du respect au chef. Avec le ”oui chef’”, ce dernier peut obliger sans forcer le comité d’octroi du marché d’opter pour un ami, ou une personne influente qui est dans la compétition.

Ce comportement qui est en fait une corruption vise à ce qui si le marché est octroyé à une ami c’est un gain en soi, ou si le marché est accordé à une compagnie d’une personne influente, celui-ci aura à dire ”merci” en payant pour ce qu’on lui a fait.

L’étude de Transparency Rwanda montre aussi que le retard dans les payements des marchés publics exécutés amène à la corruption car, quand le service est bien exécuté il faut normalement payer la compagnie.

Mais selon les dires des entrepreneurs, il faut ”Kwibwiriza”, un terme qui signifie que pour être payé il faut donner une somme d’argent au responsable chargé du dossier de payement, soit un 10% comparé la dime ecclésiastique, un 1/10 de la somme à payer à la compagnie.

La corruption dans la passation des marchés publics dans le secteur des infrastructures est un cas parmi tant d’autres : il ya des services de consultance, il ya des services d’approvisionnement et les districts ne sont pas les seuls institutions étatiques qui ont des marchés publics destinés aux opérateurs privés, il ya toujours des passations de marchés dans les instances étatiques et il ya des corrompants et des corrupteurs qui sont visés par la loi anti corruption et qui nuisent à la bonne volonté d’avoir une société sans corruption.

Les victimes de la corruption elles aussi, complices de la corruption

Il a été constaté que la corruption dans la passation des marchés publics existe bel et bien. Cependant le rôle des deux parties dans la concrétisation d’un marché doit être bien défini : les officiers de passation des marchés publics sont toujours pointés du doigt accusateur comme étant les responsables en grande partie de cette forme de corruption. Il ne faut pas ignorer qu’il ya aussi ceux qui donnent la corruption.

Certains entrepreneurs qui ont l’habitude de soumissionner pour les marchés publics affirment sans ambages qu’ils ont été obligés de payer pour obtenir un marché public. C’est le cas de John Ndabizi (pseudonyme).

”Ceux qui nous donnent le marché public même si nous remplissons toutes les conditionnalités nous demandent de réagir, ”kwibwiriza” comme on le dit, si non la prochaine fois, il n’y aura pas de marché et on est obligé d’obtempérer pour ne pas fâcher celui qui tient les rennes du marché juteux ( kwirinda gukoma rutenderi), le partenaire qui donne les marchés.”

Un autre qui a voulu garder le secret pour celui qui lui a demandé de payer afin d’appuyer son dossier a dit : ”  Moi je fais tout pour avoir un marché public même si le comité me l’a octroyé je dois trouver des moyens pour dire merci au chargé des marchés ou à tout le comité, est-ce que dire merci à celui qui a daigné vous écouter ou qui vous a facilité un service c’est mauvais ?” Celui-ci a affirmé que le merci c’est soit une rencontre qui se fait autour d’un verre, une enveloppe par le biais d’un intermédiaire ou même le transfert mobile. ”Quoi qu’il en soit on devient ami comme ça car les bons comptes font de bons Amis,” a-t-il affirmé.

Ce constat montrerait que les victimes de la corruption sont des complices de la corruption. Ces derniers qui affirment être dans le droit chemin de payer un pot de vin pour obtenir un marché public, pourront-ils en faire une dénonciation ?

M. Célestin Sibomana, chargé du renforcement des capacités auprès de RPPA a demandé aux entrepreneurs de ne pas avoir peur de dénoncer ceux qui leur demandent des pots de vin car il ya une loi qui les protègent. Il a aussi demandé même aux autres citoyens de dénoncer des cas de corruption dans la passation des marchés publics car la tolérance zéro à la corruption est un pas vers la bonne gouvernance.

Don't give a bribe


 

La corruption s’intercalerait dans le processus pourtant élaboré

Dans un entretien avec le Chef de Département chargé du Service de Renforcement des capacités au sein de RPPA, Célestin Sibomana fait un bref schéma du cheminement de la passation des marchés publics.

Selon lui, au début de chaque année budgétaire, chaque institution et service publics préparent leur état des besoins dont les priorités seront soumises au Ministère des Finances et de la Planification afin de bénéficier d’un budget correspondant.

Pour ce qui est des Districts, ils dressent la liste de ce dont ils auront besoin et savent ainsi quelle somme d’argent correspondante ils doivent prévoir.

Le moment venu, le Cahier des charges relatif au marché à pourvoir est préparé par deux services dont le Département bénéficiaire des avantages issus du marché et le service chargé de la passation des marchés.

A l’issu de cette étape le marché est publié selon les termes de référence repris dans un document d’appel d’offre standard.

Selon Sibomana, les cas d’une éventuelle corruption peuvent naitre après cette étape, et selon le type d’appel d’offre qui pourrait être ouvert, restreint, une entente directe, une participation communautaire ou autre.

Les appels d’offre diffèrent selon le type de marché et des besoins à combler

La publication officielle dans un journal reconnu d’un marché public national ouvert dure 30 jours tandis que la publication d’un marché international ouvert dure entre 45 et 90 jours.

Concernant la publication d’un marché restreint, l’institution fait un choix parmi les entrepreneurs officiellement reconnus et la publication du marché public dure 14 jours ou 24 jours selon qu’il est national ou international.

Les entrepreneurs reconnus étant parfois nombreux, le choix pourrait être subjectif et revêtir quelque forme de corruption.

L’appel d’offre peut relever d’une entente directe, et dans ce cas, l’institution prépare le dossier d’appel d’offre et le soumet à un entrepreneur qu’elle considère capable d’exécuter convenablement le marché.
Cet entrepreneur monopoliste dans le cas d’espèce passe à une entente directe avec l’institution.

A ce stade, si les responsables de l’institution ne sont pas rigoureux, dit Sibomana, le risque de corruption est évident.

Il est à noter que ce type de passation de marché public n’est pas fréquent et les institutions n’y font recours qu’en cas d’urgence extrême, s’il ya une catastrophe qui s’abat soudainement ou s’il ya un élément à sauver.

La passation des marchés publics qui procède par la demande des factures proforma quant à elle ne peut aller au-delà de 2 millions de francs rwandais pour trois entrepreneurs choisis.

La présentation de leurs documents ne doit pas dépasser trois jours

Une méthode de passation de marché dite simplifiée est identique à l’appel d’offre ouvert mais sa publication ne dépasse pas 8 jours pour un montant ne dépassant pas 10 millions.

Il ya des marchés qui sont exécutés par les agents-mêmes de l’institution sans avoir besoin d’en publier les termes de référence.

Ce système appelé ” régie” ne concerne que le matériel qui servira pour l’exécution du marché.
Certains marchés sont exécutés avec la participation des communautés bénéficiaires tel qu’on le constate avec la stratégie de réduction de la pauvreté dite VUP.

 A ce niveau, la corruption et les détournements peuvent filtrer

Un autre mode de passation des marchés publics est celui qui procède d’une soumission en deux étapes tout en restant ouvert.

Pour ce dernier, l’organe qui propose le marché n’a pas de spécification technique et le document d’appel d’offre est donné à l’entreprise qui propose les spécifications techniques.

Toute personne en relation avec le marché peut être corrompue

Que ce soit les membres du Comité de passation des marchés publics ou l’entrepreneur lui-même, tous sont exposés au risque de tremper dans la corruption.

Selon Sibomana, ”chaque personne en relation ave le marché public est exposé à la tentative de corruption”.

Il faut noter au passage que tous les agents de l’Etat qui prennent part au processus de passation des marchés publics sont préalablement formés avec l’appui du MINECOFIN.

Toutefois, la corruption pourrait intervenir à l’étape de la préparation du Document d’appel d’offre (DAO) en élaborant des spécifications techniques qui n’expriment pas clairement ce qui est recherché par le marché.

En s’appuyant sur des termes de référence non avenus, cela est un signe que l’agent à tendance à négocier déloyalement avec l’entrepreneur.

La corruption pourrait intervenir aussi bien au moment de l’exécution du marché lorsque l’entrepreneur ne fait pas correctement ce qu’il doit faire ou au moment de l’évaluation quand on cautionne les erreurs de l’entrepreneur.

L’Agence RPPA a mis en place des mesures de prévention

Comme le souligne Sibomana, l’Agence a élaboré un document standard à partir duquel sont préparées les spécifications techniques et cela, non pas par une seule personne.

L’équipe est faite des personnes aux connaissances diverses tels que juristes, Génie civil, IT, Management, de façon que le Département bénéficiaire retrouve dans le DAO ce dont il a besoin.
Aussi, le Comité de passation des marchés devra revoir le DAO avant la publication du marché public.

D’autre part, RPPA s’est disponibilisée pour appuyer les institutions qui le désirent dans la préparation des spécifications techniques voire dans l’évaluation.

Au moment de faire l’évaluation financière, le Comité de passation des marchés publics a le droit de corriger les montants présentés par l’entrepreneur, mais il a été constaté qu’il ya risque de corruption à cette étape car la correction pourrait être faite à la hausse ou à la baisse et le vœu est de leur retirer ce droit.
Dans la loi de 2007 relative à la passation des marchés publics figuraient des sanctions criminelles et administratives pour tous les gens impliqués dans la corruption mais avec la révision du Code de Pénal en 2012, à l’article 64, tout est pénal et la sanction va de 6 mois à 12 ans de prison avec une amende comprise entre 500 mille francs et 2 millions de francs rwandais.

L’Usage de l’e-procurement dans le système de passation des marchés est une procédure non seulement expéditive, mais aussi un moyen efficace de lutte contre la corruption.
D’ici une année et demie, cette pratique sera effective selon Sibomana.

Ailleurs, RPPA tient annuellement des réunions avec des entrepreneurs dans chaque province pour leur expliquer la procédure du système de passation des marchés publics.

La lutte contre la corruption dans la passation des marchés publics est l’affaire de tous

Pour conclure, Sibomana interpelle tout le monde épris de bonne foi d’être vigilant à toute tentative de corruption dans la passation des marchés publics.

Il en profite pour déplorer l’attitude de certains entrepreneurs victimes de ce crime et qui, malheureusement n’osent pas informer les instances habilitées de RPPA.

Il espère qu’avec l’usage de l’e-procurement les choses iront mieux et informe du numéro gratuit 3131 auquel quiconque pourrait appeler pour donner des informations en cas de nécessité.

Il exhorte enfin la presse d’être un ambassadeur fidèle et aider dans la prévention de la corruption dans ce domaine.

Pascal Niyonsaba & Jean Louis Kagahe

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