https://www.traditionrolex.com/25 Interview exclusive : Tatien Sibomana

Interview exclusive : Tatien Sibomana

Par 2016-08-08 15:09:09

Tatien Sibomana (Photo Iwacu)

”L’opposition et la société civile convergent vers le respect de l’accord d’Arusha…”}

Les Burundais peuvent espérer une solution à la crise même si le pouvoir en place essaie de torpiller le processus des négociations en cherchant des prétextes et des manœuvres dilatoires. Ceci ressort de l’interview accordée récemment à Bujumbura au journal LNR par Tatien Sibomana, l’un des rares opposants politiques qui résident encore au Burundi. Interview …

La Nouvelle Relève (LNR) : Monsieur Tatien Sibomana, vous êtes l’un des rares opposants qui sont restés au Burundi. Vous sentez-vous en sécurité ?

Tatien Sibomana (T.S)  : Ecoutez madame, je ne suis pas ici au Burundi parce que j’ai ma propre sécurité. Je suis encore dans le pays comme d’autres Burundais y sont malgré le climat de peur et d’insécurité qui y règne. Mais je dois dire que ça permet quand même aux émissaires étrangers qui viennent au Burundi de rencontrer des interlocuteurs autres que ceux du régime en place qui puissent dire la vérité sur ce qui se passe dans le pays étant dans le pays.

LNR : Cela dit, vous étiez aux pourparlers d’Arusha II sous les auspices du médiateur Benjamin Mkapa. Les Burundais peuvent-ils espérer d’en tirer une paix durable ?

T.S : Oui je pense que les Burundais doivent avoir de l’espoir. Il y a des raisons pour ça. Premièrement comme d’aucuns le savent, le gouvernement et le parti CNDD-FDD et ses acolytes avaient juré sur leur nom qu’ils ne participeront jamais dans les négociations organisées en dehors du Burundi. Mais voilà ils y sont déjà. La conséquence de cela qui est la deuxième raison d’espérer est que, comme ils ont été forcés de se rendre à Arusha, ils ne s’en sortiront pas sans un minimum de solution. La troisième raison d’espérer est que, au niveau de l’opposition et des organisations de la société civile, on se rend compte que nous convergeons vers une meilleure solution de strict respect et la mise en application de l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation dans sa lettre et son esprit. Le troisième mandat étant une goutte qui a fait déborder le vase, c’est donc une question parmi beaucoup d’autres que nous voulons qu’elles soient traitées conformément à l’accord d’Arusha et la constitution. Comme nous convergeons alors vers cette solution globale, c’est quand même un atout qui peut redonner espoir au peuple burundais. Une autre raison supplémentaire qui peut donner espoir au peuple burundais c’est qu’autant que toutes ces organisations convergent vers cette solution, les envoyés spéciaux des différentes organisations internationales et de certaines puissances dans les pays des grands lacs ainsi que l’équipe de la médiation convergent aussi vers le strict respect de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation. Face à tout ce monde réuni, je reste convaincu que le gouvernement, le CNDD-FDD et ses acolytes n’auront pas suffisamment de force pour exiger la mise en cause de cet accord. Il ya lieu aussi d’espérer vu l’engagement et la détermination du facilitateur Benjamin Mkapa.

LNR : Quelle est selon vous la place qui va être réservée au dialogue interne organisé actuellement dans le pays ?

T.S : Ce soi-disant dialogue interne ne doit en aucun cas avoir aucune place. Nous l’avons décrié depuis longtemps parce que ce volet ne vise que la remise en cause de l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation par le pouvoir CNDD-FDD via un référendum projeté l’année prochaine. On ne peut pas donc l’accepter parce qu’il est porteur de tous les dangers.

LNR : Que pensez-vous du rapatriement du processus des négociations à Bujumbura tel que prôné par le pouvoir CNDD-FDD ?

T.S : Effectivement le facilitateur Mkapa avait demandé à tous les groupes qu’il a rencontrés de se prononcer sur le rapatriement du processus du dialogue inter-burundais à Bujumbura parce que le gouvernement, le parti CNDD-FDD et ses acolytes ne cessent de chanter que la paix et la sécurité règnent dans tout pays alors que des assassinats ciblés, des tortures et autres violations des droits humains font toujours parler d’eux et s’accentuent même. Sans aucun risque de me tromper, tous les groupes ont dit NON au rapatriement du processus sauf bien sûr le gouvernement, le parti CNDD-FDD et ses acolytes. D’ailleurs je vois bien que ce qui est entrain de se faire est une réédition de ce qui s’est passé dans les années qui ont précédé la signature de l’Accord d’Arusha en 2000. Le président Buyoya avait organisé un volet interne du dialogue et il y avait en même temps un volet externe. Mais en définitive c’est le seul volet externe qui a été pris en considération.

LNR : vous voulez donc dire que le volet interne du dialogue est une perte de temps ?

T.S : Oui c’est une perte de temps et des fonds. Mais pour des gens gagnés à la cause de la paix et de la volonté de trouver la solution à la crise, ça peut être une voie pour préparer les Burundais à bien accueillir l’accord qui va sanctionner le dialogue externe. Malheureusement ce n’est pas le cas pour le pouvoir en place à Bujumbura car visiblement, en organisant le dialogue interne, sa volonté est de remettre en cause l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation alors que le volet externe vise plutôt à faire asseoir plus que jamais cet incontournable accord.

LNR : Pouvez-vous dire un mot sur les accusations du pouvoir CNDD-FDD portées sur le Rwanda comme quoi ce pays serait à l’origine de l’actuelle crise que traverse le Burundi ?

T.S : Je pense que le gouvernement et le parti CNDD-FDD tiennent de plus en plus des discours ridicules car la genèse de la crise que nous connaissons aujourd’hui est bien connue des Burundais et de la communauté internationale. Longtemps avant le processus électoral, beaucoup d’émissaires internationaux sont venus au Burundi pour prodiguer des conseils au président Nkurunziza et son parti afin de le dissuader à ne pas briguer un mandat reconnu anti-accord d’Arusha et anti-constitutionnel. Aussi, l’opposition intérieure, la société civile et les confessions religieuses n’avaient-elles cessé de faire un clin d’œil au parti au pouvoir et au président lui-même. Ils avaient prévenu que si le parti CNDD-FDD forçait l’allure en proposant Pierre Nkurunziza pour briguer le troisième mandat qui ne lui est pas autorisé par la constitution et l’accord d’Arusha, des manifestations allaient suivre. Tout cela était connu. Et quel était le rôle du Rwanda dans tout cela ? Aucun. Le Rwanda n’y est pour rien comme chacun le sait.

LNR : Comment alors expliquer cet acharnement contre le Rwanda ?

T.S : Le pouvoir CNDD a commencé à s’acharner contre le Rwanda quand ce dernier a accueilli beaucoup de réfugiés burundais parmi lesquels des opposants au troisième mandat de Nkurunziza. Ce qui est étonnant c’est qu’on dirait que le gouvernement considère que les réfugiés burundais ne se trouvent qu’au Rwanda. Pourtant il y en a en Tanzanie, en Ouganda, au Kenya, en RDC, en Zambie, au Mozambique et ailleurs. Je pense que le fait, pour le gouvernement de Bujumbura de vouloir à tout prix impliquer le Rwanda dans la crise burundaise est une fuite en avant pour essayer d’escamoter sa responsabilité dans la crise actuelle qui est en vérité burundo-burundaise.

LNR : Quels conseils à donner aux différentes parties du dialogue inter-burundais pour que les Burundais retrouvent une paix durable ?

T.S : A l’opposition d’abord, il faut qu’elle garde toujours le même objectif qui est de sauver l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation ainsi que la constitution qui en est issue. Comme nous nous entendons sur la mise en place d’un mécanisme permanent de suivi et de mise en application de l’accord d’Arusha dans sa lettre et dans son esprit, la question des mandats sera parmi les choses à appliquer à la lettre conformément à cet accord. L’opposition devra aussi se montrer solidaire en faveur du peuple burundais qui souffre aussi bien au niveau sécuritaire et politique qu’économique. Elle devra donc toujours mettre en avant les intérêts de ce peuple au lieu de privilégier ses propres intérêts. Au cercle du pouvoir et ses acolytes, qu’ils sachent qu’ils ont une lourde responsabilité dans la crise qui secoue le pays. Ils doivent donc afficher un minimum d’humilité et accepter de s’asseoir avec tout le monde pour que la solution consensuelle, durable et viable à la crise soit rapidement trouvée. Le pouvoir CNDD-FDD doit savoir que c’est en acceptant tous les protagonistes à la table des négociations que le Burundi recouvra la véritable paix tant souhaitée. Ce pouvoir ne devra pas aussi mettre en avant son propre intérêt au détriment de l’intérêt général du peuple burundais. Il devra cesser de torpiller le processus en cherchant des prétextes et en faisant des manœuvres dilatoires. A l’endroit de la médiation, nous lui demandons d’être réellement neutre et au dessus de la mêlée pour pouvoir aider les Burundais à retrouver véritablement la paix et la réconciliation. Aux autres partenaires du Burundi, nous leur demandons de rester solidaires avec le peuple burundais notamment en cherchant comment lui venir en aide sans passer par les canaux du gouvernement. Nous leur demandons également d’apporter une forte aide humanitaire aux réfugiés burundais éparpillés dans plusieurs pays africains en attendant l’issue heureuse de la crise qui leur permettra de regagner leur pays.

Propos recueillis par Tesire Mudahemuka

 

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