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Français-anglais : la langue qui rapporte, plus soutenue

Par 2015-04-24 14:47:03

[caption id="attachment_800" align="alignnone" width="768"]Les enfants et les enseignants ont dû s'adapter aux nouvelles conditions d'apprentissage (Photo James R.) Les enfants et les enseignants ont dû s’adapter aux nouvelles conditions d’apprentissage (Photo James R.)[/caption]


 

Le français perd de plus en plus de sa place dans l’administration et dans l’enseignement au Rwanda. A plus forte raison, la classe politique s’est d’ores et déjà débarrassée de cette langue de Molière. Les documents officiels et les affiches, aucun ne porte un seul mot en français. L’anglais a donc délibérément remplacé le français, alors plus écouté et utilisé. Les hommes et les femmes d’affaires à côté de certains Rwandais bien avertis de ce changement inattendu, apprennent l’anglais pour décrocher un marché et /ou un emploi pour être compétitifs au niveau mondial. L’exécutif rwandais fait la sourde-oreille pourvu que les Rwandais sachent que la langue qui rapporte plus, est celle qui doit être soutenue…

Suite de 1227

Les enseignants frappés par un changement radical

« Quand on nous a dit de nous former pendant trois mois en Anglais afin de continuer notre beau métier dans une nouvelle langue, il a fallu se casser en mille morceaux pour pouvoir encaisser psychologiquement ce changement. On ne peut pas effacer les habitudes de 25 ans en un laps de temps. Quand j’ai commencé à enseigner dans une autre langue que mon français, j’ai eu toutes les peines à m’exprimer, on donne des notes et on explique en Kinyarwanda, or quand un enseignant ne maitrise pas sa langue d’enseignement, il n’est pas à la hauteur de sa vocation, » a dit MU qui enseigne dans une école secondaire de Kigali. Pour elle, il ya des signes que le Français perd du terrain et que son statut de langue officielle s’amenuise de plus en plus.

« Même dans les médias le français s’efface, les informations et émissions en Français sont moins nombreuses sur les Radio et télévisions, il n’y a plus de journaux en Français. Je sais que TV 5 est distribuée gratuitement pour le monde francophone pourtant on ne voit pas ses programmes relayés par les chaines locales. Et d’ailleurs moi je me demande si nous avons des journalistes capables de nous informer en français, s’ils existent où se cachent-ils ou ils sont frustrés et cherchent à s’exprimer dans une autre langue à la mode. »

Elle ajoute que les enseignants ne sont pas les seuls à subir les effets du changement mais regrette qu’il ya des gens qui perdraient du travail à cause de la langue.

« Celui ou celle qui a étudié en français est comme celui qui l’a fait en chinois, en allemand, en espagnole, en russe car il ya des Rwandais qui ont fait les études dans ces langues de même que l’anglais. La science apprise reste la même malgré la langue d’apprentissage. Le Rwanda est rwandophone et il est membre de la francophonie et du commonwealth pourquoi ne pas donner la chance à tout le monde ? »

Tous ceux qui s’expriment à propos du statut de la langue française au Rwanda savent que constitutionnellement c’est une langue officielle mais qui dans le fait perd du terrain au profit de la montée de l’anglais.

Mais ils restent conscients que les deux langues sont utiles pour celui qui les maîtrise, et celui qui en connait plus, a plus de chances. Ils sont pour une tolérance linguistique et une rigueur scientifique qui ne relève pas d’aucune langue et optent pour une sagesse égyptienne qui se dit dans l’adage : « Dans la forêt, le roseau tout comme la chaine ont droit d’exister. »

[caption id="attachment_801" align="alignnone" width="768"]La Présidente de la Chambre des Députés, Donatille Mukabalisa, ne juge pas nécessaire le contrôle de l'action gouvernementale pour ce cas (Photo Safari Byuma) La Présidente de la Chambre des Députés, Donatille Mukabalisa, ne juge pas nécessaire le contrôle de l’action gouvernementale pour ce cas (Photo Safari Byuma)[/caption]


 

Des voix s’élèvent pour les droits 

Le silence a dominé chez plusieurs Rwandais sur leurs droits d’être informés dans la langue française à part le kinyarwanda qui est une langue nationale et l’anglais qu’ils maîtrisent mal. Depuis plusieurs années, personne n’a pu hausser le ton pour dénoncer les difficultés des Rwandais francophones à passer des examens dans la langue qu’ils comprennent mieux et d’avoir accès aux documents traduits en français.

A cet effet, le Democratic Green Party of Rwanda, une formation politique, a brisé dernièrement le silence. Il a porté plainte à la Justice pour que tous les Rwandais jouissent des mêmes droits. La réplique à sa plainte n’a pas eu d’effets escomptés auprès du tribunal, car le dossier en soi, a été classé sans objet, et par conséquent, irrecevable…

"Les faits sont nombreux qui témoignent de la difficulté des francophones rwandais. Dans les banques, personne ne peut y décrocher un crédit bancaire s’il ne sait pas écrire en anglais. Tous les formulaires de demande sont en anglais. Malheur encore aux kinyarwandaphones", montre cet ancien professeur de l’Université Nationale du Rwanda (UNR).

Il se soulage en remplissant son chèque bancaire en français. "J’écris en français et en toutes lettres tous les montants de mon chèque. Là au moins, je me ravis", crie ainsi ledit professeur.

"Le mal des langues a pris une autre facette au Rwanda. Tellement l’anglais a primé sur toutes les autres langues (kinyarwanda et français), finalement toutes les affiches publiques sont écrites en anglais ainsi que les panneaux publicitaires.

Un étranger peut s’interroger s’il est en Angleterre, alors qu’il est au Rwanda", clame Pierre-Claver Mutiwinyinya, ancien moniteur au Burundi et au Rwanda qui trouve la culture rwandaise en pleine décadence !

Cette grogne n’est pas dévoilée en public. Elle domine par contre dans les murmures de plusieurs Rwandais dans leurs places isolées. Ils évoquent l’article 11 de la constitution qui statue sur l’égalité de tous les citoyens.

"Tous les Rwandais naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs. Toute discrimination fondée notamment sur la race, l’ethnie, le clan, la tribu, la couleur de la peau, le sexe, la région, l’origine sociale, la religion ou croyance, l’opinion, la fortune, la différence de cultures, de langue, la situation sociale, la déficience physique ou mentale ou sur toute autre forme de discrimination est prohibée et punie par la loi".

C’est dans ce contexte que le Democratic Green Party of Rwanda s’oppose à certains décideurs politiques qui omettent délibérément la langue française sur des documents officiels, alors qu’une norme prévoit d’y placer aussi bien le français que l’anglais. Il a parlé de billets d’argent, du permis de conduire, de la carte d’identité, et d’autres documents publics qui ne referment plus du français.

La présidente de la chambre basse, Donatille Mukabalisa, n’a pas trouvé le fondement du contrôle gouvernemental par le parlement sur la question de la langue française quant à son utilisation par rapport à son statut juridique…

Pour Edouard Munyamaliza, le mal serait la non-jouissance des droits pour ceux qui communiquent en français. "Ils doivent alors savoir réclamer leurs droits", a-t-il montré.

L’on attendait que les Rwandais amènent du French en EAC

Certains ressortissants de l’EAC (East african Community) qui vivent au Rwanda ont la fierté d’avoir rencontré les francophones ou « french speakers » comme ils le disent affectueusement. Mais quand ils remarquent que le français est en perte de vitesse au Rwanda, ils expriment des sentiments mitigés à propos.

« Quand le Rwanda et le Burundi ont rejoint l’EAC, nous pensions qu’ils allaient nous amener la langue française qui s’ajouterait à l’anglais et au swahili, mais nous avons remarqué que le Rwanda a supprimé le français dans l’enseignement. Cela prendra du temps pour que le niveau linguistique de l’anglais au Rwanda soit comme celui du Kenya ou de l’Uganda, » a laissé entendre Ben Mwangi, originaire du Kenya et qui a un business au Rwanda.

Ce sentiment est partagé par John Muhanguzi, Ugandais qui opère dans le secteur de la carrosserie au Rwanda et qui a dû épouser une Rwandaise pour être capable de pratiquer un peu de Français appris à l’Ecole et qu’il utilise pour communiquer avec ses clients à la recherche des pièces de rechange.

« Dommage que vous n’étudiez plus en Français mais nous aimons cette langue, quand le Rwanda est devenu membre de l’EAC, on a dit, ils vont nous amener la langue française mais ce ne fut pas le cas… »

Le français est au Rwanda depuis la défaite allemande pendant la première guerre mondiale en 1916 quand les troupes allemandes étaient mises en déroute par les troupes belgo-anglaise sur le territoire rwandais de l’époque.

Ce sont les Belges qui sont devenus ipso facto les maîtres du Rwanda et y ont introduit la langue française comme langue d’enseignement même si les écoles étaient aléatoires.

Durant la période belge jusqu’à l’indépendance du Rwanda (1962), le français était la langue d’enseignement au Rwanda et l’intelligentsia de l’époque était francophone.

Après l’indépendance du Rwanda, le français a gardé son statut tandis que les autres langues comme l’anglais et le swahili étaient apprises dans des écoles ou par des voyages.

Ce n’est qu’après 1994 que le Rwanda a eu des citoyens formés dans des pays anglophones et que l’anglais a eu le même statut de langue officielle au même titre que le français, il ya eu des écoles qui enseignent en Anglais, il ya eu des écoles bilingues et des écoles qui enseignent en Français.

Devant les exigences de la mondialisation, l’Etat rwandais a opté pour l’anglais comme langue d’enseignement, et le français a gardé le statut de langue officielle et une langue que l’on apprend en classe.

Ceux qui maitrisent le français sont de l’ancienne génération ou ceux qui ont la chance de fréquenter les écoles libres qui ont gardé le bilinguisme Anglais –Français.

Juste après la tragédie rwandaise soldée en génocide perpétré contre les Tutsi en 1994, l’administration rwandaise considérait les deux langues, français et anglais, au même pied d’égalité dans l’administration et dans les programmes scolaires et académiques. Les citoyens s’exprimaient aisément dans l’une ou l’autre langue sans complexe, parce que tout le monde avait réalisé que le pays était devenu un géant cosmopolite qui a accueilli ses fils et ses filles venus des pays d’exil dans tous les coins de la planète et par conséquent, qui parlent différentes langues. La constitution rwandaise en est restée claire et précise notamment en son article 5. "La langue nationale est le Kinyarwanda. Les langues officielles sont le Kinyarwanda, le Français et l’Anglais".

Fin

Pascal Niyonsaba & Safari Byuma


 

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