https://www.traditionrolex.com/25 Commémoration du génocide : proximité géographique, près de la réalité

Commémoration du génocide : proximité géographique, près de la réalité

Par 2015-05-04 18:34:28

[caption id="attachment_866" align="alignnone" width="769"]La ministre des sports et de la culture, Julienne Uwacu apprécie cette nouvelle formule (Photo James R) La ministre des sports et de la culture, Julienne Uwacu apprécie cette nouvelle formule (Photo James R)[/caption]


 

La commémoration du génocide contre les Tutsi pour la 21ème fois, a eu un élément nouveau : les débats se font au niveau de la plus petite entité administrative au Rwanda appelée Umudugudu. C’est une décision prise pour mieux perpétuer la mémoire des victimes qui, du reste, demeure fraiche dans les esprits des rescapés.

Les cérémonies antérieures donnaient lieu à un grand rassemblement populaire au niveau national et provincial avec des témoignages qui alternent aves des discours des officiels. Le thème de 2015, année de la 21 ème commémoration de la page sombre de l’histoire du Rwanda est « la lutte contre le négationnisme et le révisionnisme »

Les institutions en charge de lutter contre l’oubli, les individus isolés sont unanimes sur le fait que les habitants d’un même hameau qui se mettent ensemble pour débattre d’un passé douloureux prennent conscience qu’il faut construire un avenir en évitant les erreurs du passé.

Selon le Secrétaire Exécutif de la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG) le Dr Jean Damascène Bizimana, commémorer à cet échelon, « prouve à suffisance que la commémoration du Génocide perpétré contre les Tutsi est l’affaire des Rwandais eux-mêmes ».

Cette commémoration en milieu restreint, selon la CNLG, est aussi une occasion d’approcher les rescapés du Génocide démunis, leur rendre visite, les consoler et dans la mesure du possible, les appuyer matériellement.

Commémorer dans l’« umudugudu », une approche nouvelle

Le Dr Bizimana Jean Damascène précise par ailleurs que cette commémoration de proximité permettra de s’imprégner davantage des difficultés auxquelles les rescapés sont quotidiennement confrontés, et que cela permettra en même temps d’y apporter des solutions appropriées et durables.

Un autre avantage essentiel de cette commémoration entretenue par des gens du même quartier qui ont des informations sur les atrocités qui s’y sont déroulées, est de permettre aux jeunes générations de mieux comprendre ce drame expliqué par les parents et voisins, ceci leur permettant ainsi de poser aisément des questions d’éclaircissement là-dessus.

D’autres faits connexes font l’objet des causeries, notamment ceux décrivant et vantant la bravoure des habitants du quartier qui ont tenu tête haute pour contrecarrer les attaques des tueurs issus de la milice du MRND, « interahamwe » et des militaires de l’Armée Nationale d’alors, l’ex-FAR.

De même, les jeunes générations apprennent beaucoup sur les hauts faits des militaires de l’ancienne rébellion, RPA, du Front Patriotique Rwandais, FPR, qui ont stoppé le Génocide, sauvant ainsi la vie à beaucoup de gens.

D’autres part, la commémoration au niveau de l’ « umudugudu » est une occasion de louer l’humanité de certains habitants du lieu qui n’étaient pas la cible des génocidaires et qui n’ont pas trempé dans les tueries, mais par contre qui ont protégé et mis à l’abri les individus et familles tutsi alors traquées.

[caption id="attachment_867" align="alignnone" width="768"]La population des imidugudu Taba, Gatare, Kigarama et Rurembo de la cellule Gatare, secteur Niboye suivant un exposé (Photo James R.) La population des imidugudu Taba, Gatare, Kigarama et Rurembo de la cellule Gatare, secteur Niboye suivant un exposé (Photo James R.)[/caption]


 

La population locale s’approprie la commémoration

Pour sa part, la Ministre des Sports et Culture, MINISPOC, Julienne Uwacu, apprécie cette nouvelle formule de commémoration à travers son approche participative car, tous les habitants de l’ « umudugudu » se sentent interpellés, et par conséquent participent activement à toutes les activités y relatives.

Outre les causeries, il y a des séances de recueillement au mémorial du Génocide, des veillées ponctuées par des chansons reprenant parfois les noms des individus et familles décimés de tel ou tel milieu, des visites aux rescapés etc.

Selon la Ministre de la Culture, des témoignages fournis localement sont plus fermes et fiables, car la confiance est désormais établie entre voisins du même quartier.

D’autre part, il est sans équivoque que les dépenses liées aux différentes activités de commémoration sont réduites au niveau de l’ « Umudugudu » par rapport au coût à payer aux niveaux administratifs supérieurs.

L’unité nationale davantage renforcée

A l’instar des juridictions Gacaca, les rencontres commémoratives du Génocide au niveau des villages offrent une opportunité de renforcer l’Unité nationale, tant que les présumés bourreaux sortiront de leur mutisme pour traduire la vérité des faits relatifs au Génocides à leurs voisins, victimes ou pas de ce dernier.

Par voie de conséquence, la tâche sera allégée aux juridictions ordinaires qui ont hérité des procès non tranchés ou exécutés par les juridictions Gacaca où des cas nouveaux qui apparaissent avec de nouveaux témoignages.

Pour Kanyamahanga, un habitant du Secteur de Nyamirambo, l’organisation de la commémoration au niveau de l’ « umudugudu » permettra de réduire les suspicions entre voisins du quartier, et d’asseoir ainsi une cohabitation pacifique.

Selon toujours Kanyamahanga , « les jeunes générations présentes et futures ne devraient pas grandir dans une nuée de suspicions mutuelles, et cela ne pourra être possible que grâce à ces causeries et témoignages au niveau local ».

Néanmoins, certains voient en cette nouvelle formule un obstacle pour certains rescapés qui gardent encore en mémoire les séquelles des événements atroces auxquels ils ont assisté dans leurs quartiers respectifs.

Au niveau de l’Umudugudu, les voisins se disent la vérité sur le génocide.

Lors de la semaine du deuil national, chaque umudugudu avait pris les précautions de trouver un endroit où se retrouvent tous les majeurs habitant une même circonscription administrative afin de méditer sur les méfaits et effets du génocide.

Les témoignages des habitants des secteurs des milieux ruraux et urbains du Rwanda s’accordent sur le fait que la mise ensemble des habitants du même village ou d’une même colline (le Rwanda est connu aussi comme le pays des mille collines) leur permettent de s’approprier les réalités héritées du génocide.

A ce propos, Jean Pierre Habimana du secteur Bweramana, la cellule de Rwinyana, district de Ruhango dans le centre du Rwanda, a expliqué que le fait de se réunir par cellule de base et hameaux permet aux uns et aux autres de faire face à une réalité que chacun peut interpréter à sa façon. « Moi je suis rescapé du génocide et en 1994 j’avais 10 ans, le fait de rassembler les voisins dans les débats sur le génocide, c’est une occasion d’affronter notre réalité. » A-t-il dit.

« Chez nous, j’ai vu les bourreaux qui, grâce aux juridictions Gacaca, ont purgé leur peine et ont repris le cours de la vie normale, il ya des victimes du génocide qui ont pu refaire leur vie, il ya ceux qui étaient très jeunes comme moi qui sont adultes. Encore, il ya une réalité que les gens n’évoquent pas souvent. Nous avons mentionné le courage des rares personnes qui ont pu nous sauver la vie au risque de perdre la leur. Quand on est ensemble, on remarque dans les interventions que chacun est conscient que le génocide est un crime qui a impliqué les masses paysannes et une minorité des irresponsables. Ils souhaitent un avenir pour leur progéniture. » A-t-il ajouté.

Quand il exprimait ses pensées, il y avait aussi M. Charles Ntwali qui a purgé une peine de 15 ans pour les crimes du génocide et qui a retrouvé sa liberté. Pour lui, le fait d’organiser les cérémonies de commémoration du génocide au niveau de la base a été une occasion pour lui de réintégrer la société car il a donné une communication au cours de laquelle il a remercié l’Etat rwandais dans ses efforts de réconcilier les Rwandais et a exprimé ses remords tout en promettant de rester bon citoyen pour le reste de ses jours.

« J’ai mes 73 ans et j’ai fait la prison pour les crimes du génocide que je reconnais devant cette assemblée, quand on a demandé de dire quelque chose d’édifiant pendant cette période de mémoire , je me suis dit que c’est le moment opportun de me repentir et de donner une leçon aux plus jeunes afin de préparer un avenir radieux. Je me sens toujours coupable quand je croise quelqu’un de mon village et j’ai toujours honte d’adresser la parole aux plus anciens qui me connaissent dans mes forfaits. Au fait, quand je fus actif lors du génocide, j’ai pas pu écouter les conseils des voisins qui me disaient de ne pas tuer mon semblable », regrette-t-il.

« Pourtant j’ai écouté la voix du diable et à la fin j’ai été emprisonné pour mes forfaits. Durant mon séjour en prison, j’ai médité sur ce que j’ai fait et j’ai dit si je trouve une seule chance, je vais changer la société. Je remercie l’Etat rwandais qui nous a grâciés alors qu’ailleurs on aurait dû nous exécuter. Encore, ce passé sombre m’a permis de réfléchir sur ce que je dois faire pour mon image : il me reste quelques jours pour vivre. Je demande aux jeunes de profiter de leur jeunesse pour faire du bien car le mal ne profite à personne. Mon exemple suffit pour leur montrer qu’il faut utiliser son temps dans le bien, un bon travail, comprendre l’autre, la tolérance et le vivre ensemble car le Rwanda appartient à tous ses enfants. »

Les intellectuels brillent par leur absence

Avec la nouvelle façon de commémorer le génocide au niveau de la base, l’on a remarqué l’absence des personnes instruites qui son leaders d’opinion. Même si l’on ne trouve pas un seul qui puisse avancer des raisons de son absence (car il n’y a pas peut-être), les autorités de base s’inquiètent de ce comportement. Madame Marie Goretti Uwimana de la cellule Ruhunda dans le secteur de Gishali, district de Rwamagana dans l’Est du Rwanda, affirme que quand les intellectuels ne participent pas aux activités relatives au mémoire du génocide, c’est un nouveau message qu’ils lancent à la population.

« Lors du génocide, ce sont les leaders d’opinion qui incitaient les masses paysannes au génocide, maintenant que les leaders d’opinion tendent à minimiser la commémoration du génocide, cela risque de diminuer la teneure de la cérémonie et à la longue amener à nier le génocide contre les Tutsi car le négationnisme n’est pas seulement nier par les mots mais aussi poser des actes qui nient ou qui accordent peu d’importance au génocide , ce qui est grave. »

La commémoration du génocide contre les Tutsi est une culture. Chaque culture a des institutions en charge, des manifestations culturelles ainsi que des signes. On peut citer parmi les signes de mémoire du génocide les sites mémoriaux, les sépultures aménagés et les lieux d’exécutions conservés ou retenus comme tels.

Les débats et les visites aux lieux de mémoire sont des signes parmi tant d’autres. Pour l’absence des leaders d’opinion dans les cérémonies de commémoration du génocide, l’une des institutions luttant pour les intérêts des victimes du génocide se prononce contre. Il s’agit de l’Association des Veuves du Génocides –AVEGA Agahozo. Par la voix de sa secrétaire nationale ad interim, Madame Daphrose Mukamazimpaka, il faut que tous les citoyens s’approprient la culture de la commémoration du Génocide.

« Chacun sait que le génocide contre les Tutsi a eu lieu, quand la population ordinaire participe aux activités de commémoration du génocide et que les intellectuels s’absentent je trouve cela dangereux car ils relativisent ce qu’ils comprennent. »

Elle reste convaincue que la commémoration au niveau de base est une façon de rapprocher la réalité à la population. « Quand les voisins se mettent ensemble pour dialoguer, ils trouvent un terrain d’attente sur leur réalité. »

La vérité est que le génocide contre les Tutsi a été conçu par les hauts placés du pays , mais que l’exécution n’a été possible que par la participation de la masse populaire. La commémoration au niveau des imidugugu, les villages, permet aux habitants d’une même colline de se parler franchement de leur réalité et de s’en approprier. « Si les masses paysannes des villages ruraux ont été poussées à commettre le génocide, il faut les pousser à lutter contre ce même génocide au même lieu, » reconnaissent ceux qui ont participé aux activités de commémoration du génocide. Aux grands mots, grands remèdes, dit-on.

Jean Louis Kagahe & Pascal Niyons


 

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