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La nuit burundaise (2)

Par Admin 2016-10-24 15:42:07

Les massacres de Ntega et Marangara

Les massacres récurrents induits par la guerre civile permanente faisant, parfois, des centaines de milliers de morts, reprirent vers le 15 août 1988, lors de la fête sanglante d’Assomption, dans les localités de Ntega et Marangara, sur l’initiative des massacreurs antérieurs, lors des événements de 1972 –lire supra - repliés au Rwanda et en Tanzanie, où ils demeuraient impunis et menaient la vie douce dans leurs repaires, grâce aux subsides leur octroyés par l’IDC-l’Internationale Démocrate Chrétienne -Section belge, qui a juré, depuis les années 1950, d’en finir définitivement avec tout ce qui est tutsi sur la planète, et d’autres lobbies tout- puissants ethnistes en Europe.

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Les massacres de Ntega-Marangara ont eu lieu sous le régime Pierre Buyoya en 1988. Les bourreaux réclamaient la démocratie (Photo archives)

Sous la pression de ces derniers les nouveaux massacres, d’une ampleur également sans précédent bien que limités aux deux communes, furent accueillis par le langage habituellement carré, par l’ensemble de la communauté internationale.

”L’innommable”, terme emprunté à l’œuvre impérissable de l’écrivain Samuel Beckett, repris récemment par le journaliste Patrick de Saint-Exupéry, en parlant de Bisesero et notre compatriote Adélaïde Mukantabana, auteure d’Innommable –”Agahomamunwa”, ne convient peut - être pas pour les décrire.

Ce jour-là, en effet, vers 18 heures, alors que le grand disque pourpre du soleil déclinait lentement à l’horizon, Philibert Muzima vit s’embrumer presque tout le paysage dans cette région septentrionale du Burundi. Il crut d’abord à un miracle, mais bientôt il se ravisa.

Depuis le petit matin, il faisait paître le bétail de ses parents dans un coin du marais de la rivière Akanyaru à l’herbe fraîche, au pied de la colline Runyinya, dans l’actuel District de Gisagara. Dans les marécages, il aperçut confusément une grappe humaine au milieu de laquelle il identifia un enfant gémissant, sanglant, plein d’hématomes, les bras ligotés derrière le dos, mais qui lui sembla avoir encore une chance de survivre. C’était un rescapé d’une noyade forcée.

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A chaque fois les massacres ethniques provoquent une vague des réfugiés (Photo archives)

D’autres avant lui, et après ce minaculé, auraient risqué la traversée à gué d’Akanyaru. Beaucoup avaient disparu corps et biens. C’est auprès de quelques rares survivants que Muzima a reconstitué le récit tragique des événements de Ntega et Marangara.

Au jour dit d’Assomption 1988, comme au Rwanda lors de la fête de Toussaint 1959 et de Noël 1963, dans l’ex-préfecture de Gikongoro aujourd’hui District de Nyamagabe, des paysans hutu se ruèrent littéralement contre leurs voisins et voisines tutsi.

Des témoins affirmaient qu’ils avaient vu des hommes tutsi décapités par les machettes [”panga”], les crânes des bébés fracassés contre les murs, brisés à coups de gourdins de bois ou jetés dans les latrines de toilette et, de nouveau, comme en 1972, des femmes enceintes éventrées. Un véritable ruisseau de sang coulait dans les 2 communes. Les habitations, les magasins, les bananeraies et les plantations de caféiers appartenant aux Tutsi partirent, à leur tour, en fumées. L’histoire se répétait et ne bégayait pas.

A cette destruction massive, l’opinion publique occidentale opposa, comme d’habitude, une indifférence glacée. Tout au plus lui accorda-t-elle une attention distraite lors de l’intervention des Forces Armées Burundais [FAB] qui stoppèrent tardivement les tueries.

Les coupures de presse de cette époque ainsi que la plupart des livres écrits, ultérieurement, sur cet événement macabre révèlent, d’une façon particulièrement éclairante, la dévastation des populations de Ntega et Marangara, et dévoilent aussi les vrais organisateurs de cette destruction de masse.

La manipulation ethnique l’emporte, dans l’opinion publique, sur toute autre considération, et fait encore aujourd’hui obstacle à la mobilisation internationale. Ainsi, par exemple, un certain Déogratias Hakizimana, auteur de Burundi le non-dit [1993] écrit que les massacreurs hutu agissaient en ”légitime défense”, et fait dater leur déploiement ”stratégique” le 5 août 1988, leur entrée en action 10 jours plus tard, et suggère qu’ils réclamaient ”la démocratie”.

La malédiction de la ”démocratie” est ici entretenue savamment de façon biologique. Elle est , et de loin, la principale cause de mort et de déréliction au Burundi, lorsque l’on considère l’enfant qui meurt comme une simple unité statistique, et non comme la disparition d’un être singulier , irremplaçable, venu au monde pour vivre d’une vie unique et qui ne reviendra pas s’il est froidement massacré sur une vaste échelle, à Ntega et Marangara.

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L’assassinat du Président Melchior Ndadaye en 1993 a été suivi de massacres (Photo archives)

Enfin quelle est cette lutte pour ”la démocratie” qui n’avait rien trouvé de mieux que les massacres indiscriminés des civils innocents de tous les âges et de toutes les conditions sociales ? Une démocratie associée à l’obsession du profit individuel, à l’appât du gain, la cupidité illimitée et la cruauté bestiale. Sauf grave cas de dérangement psychique ,personne ne peut supporter le spectacle de la destruction de tant d’êtres humains pour ce qu’ils sont censés être à leur naissance, et personne ne peut en être déchargé la responsabilité sur le plan moral.

Philibert Muzima poursuit :”C’est difficile à expliquer , mais j’ai pu prendre conscience pour la première fois que les tueries déchaînées pouvaient déborder la frontière et nous atteindre aussi , au Rwanda”.

Environ 140.000 réfugiés hutu burundais, fuyant la répression des FAB, furent accueillis tant bien que mal dans l’ex-commune de Kibayi et 3.000 réfugiés tutsi burundais furent installés sur la colline de Nyange dans l’ex-commune de Nyaruhengeli.Ce fut un cocktail étonnant entre les bourreaux et les victimes.

Entre le 20 et le 22 avril 1994, lorsque le génocide anti-tutsi fût déclenché au sud du Rwanda, les premiers conscients de leur force démographique spécifique massacrèrent tous leurs compatriotes de Nyange jusqu’au dernier-né. La prémonition de Muzima venait de s’accomplir, dans le sang. Comme si le versement du sang de leurs malheureux compatriotes ne leur suffisait pas, ces réfugiés auxquels s’étaient joints ceux de 1965 , de 1972 et de 1993-lire infra-en liaison avec les sinistres miliciens Interahamwe , répandirent la détresse, la désolation et les atrocités sur les colline rwandaises. Jusqu’en juillet 1994, contre un peuple qui n’entretenait avec eux aucun différend –lire infra.

Aujourd’hui, la plupart coulent des jours heureux en s’empiffrant aux frais des contribuables de leur pays , sans se poser aucun problème de conscience. Entretemps, Pierre Buyoya soutenu activement par une fraction des officiers subalternes de l’armée, le maréchal-président Mobutu, la françafrique ainsi que l’influent père Jésuite Gabriel Barakana, tête d’affiche des chrétiens charismatiques du Burundi et Mgr Ngoyagoye, alors évêque de Bubanza et éminence grise du Vatican dans ses affaires burundaises, s’empara des rênes de l’Etat sans effusion de sang.

Contrairement à son prédecesseur, Jean-Baptiste Bagaza, réputé implacable contre les frondeurs à son régime, mais particulièrement efficace pour le redressement macro-économique de son pays, le président Buyoya n’était pas homme à mener des réformes structurelles et apte à résoudre les nouveaux défis qui se posaient au pays, en pleine restructuration démocratique.

Pour commencer , il renvoya dos à dos les dossiers des bourreaux et des victimes des massacres antérieurs pourtant sensibles, pour en finir avec la fracture ethnique, ressouder le tissu social par l’instauration d’Etat de Droit.

Son régime s’empêtra ensuite dans les contradictions. Son pacte d’unité nationale- ”Amasezerano y’ubumwe bw’Abarundi” - mal paurfiné au départ fut un fiasco bien qu’élu par référerendum , le 5 février 1991.

En occultant la justice exigible, sous la pression internationle, l’ Union pour le progrès National [UPRONA] –le vieux parti unique, déliquescent, qui n’avait pas fait le renouvellement de ses cadres depuis un demi-siècle, ouvrit démesurement l’espace politique-qui avait toutes les allures d’une véritable boîte de Pandore à une multitude de formations politiques, entièrement dépourvues d’idéologie, de projet de sociéte ou de programme politique. La rue, pour laquelle elles ne présentent aucune alternative et qui les méprisent les qualifie globalement de ”partis alimentaires”.

Cependant l’Occident, qui les soutient financièrement en sous main, exprime un point de vue contraire et fait miroiter, dans ses médias, une opposition nombreuse, active et bouillonante. Par la suite, les faits confirment ce jugement : Alors que d’autres partis se liquéfiaient, y compris l’UPRONA hérité du prince Louis Rwagasore, héros de l’indépendance nationale, Sahwanya FRODEBU émerge.

Ce parti fondé par un obscur technocrate ”hutu”, qui arborait une moustache à la Savimbi, expert dans les COOPEC [coopératives d’épargne et des crédits], Melchior Ndadaye, gagne successivement, la main levée, les élections législatives et la présidentielle, en septembre 1993, à l’issue d’une campagne électorale férocement ethnisée, prouvant par là que le ver pourrissait encore le fruit.

De nouveau, le glauque politique burundais, marécageux et compliqué, où jamais rien n’est simple et clair, redevient aussitôt particulièrement délétère.Un événement décisif accentuant la réaction ultrahutu se passe au Burundi, le 20 octobre 1993. Cf filip Reyontjens ,chapitre consacré au Burundi dans son livre intitulé Rwanda, 3 jours qui ont fait basculer l’histoire [1995], pp.93-115.

Cette nuit-là, un bataillon blindé, bénéficiant de la complicité ou de la passivité du reste de l’armée s’attaque au palais présidentiel. Ce putsch coûte la vie au président Melchior Ndadaye , à quelques-uns de ses plus proches collaborateurs et à Gilles Bimazubute, vice- président du parlement. Ce dernier, une personnalité tutsi ambiguë, leader des étudiants burundais dans les années 1960 et ex-ministre de l’éducation sous le régime du colonel Michel Micombero.

L’Etat est décapité, le reste du gouvernement trouve refuge à l’ambassade de France, sauf deux ministres Dr Jean Minani, en charge de la santé publique, présenté par l’IDC comme l’héritier spirituel du Ndadaye et un autre que nous n’avons pas pu identifier, NDLA : Des investigations plus récentes mentionnent l’agent français de la DGSE, Paul Barril, comme le principal instigateur de ces assassinats. Il n’en était pas à son premier "coup" fourré en Afrique des Grands Lacs.

Au lendemain de ce putsch, les tueurs des précédents pogroms avaient acquis une solide réputation de férocité. Une fois de plus ils écoutaient des diatribes d’une incroyable violence, qui les éblouissaient, à partir de Radio-Rwanda, à l’époque aux mains des extrémistes hutu, qui leur débitait des obsecénités primaires sur l’exécution de ”leur président” et pérorait sur l’éventualité de se défouler.

Beaucoup recommencèrent à aiguiser leurs machettes, et le carnage qui s’ensuivit fut, dans tous les cas de figure, affreux. Au passage, ils détruisent tout, en particulier les ponts pour empêcher l’armée régulière d’intervenir, et isoler leurs victimes.Dans l’ancienne Ecole Normale de Kibimba , à mi-chemin entre les villes de Bujumbura et de Gitega, le directeur de cette école fit enfermer tous ses élèves tutsi dans un bâtiment décripi d’une station-service abandonnée, et y mit du feu arrosé d’essence. Tous les corps furent consumés.Une année plus tard, tout puait encore de décomposition en proximité de ce maudit bâtiment.Les voisins n’arrivaient pas à fermer l’œil la nuit lorsqu’ ils se rappelaient les corps carbonisés de ces malheureux élèves qui s’entassaient dans ce bâtiment et aux alentours.

En 1996, une commission d’enquête de l’ONU concluait qu’en octobre 1993, des actes de génocide contre les Tutsi avaient été commis au Burundi. Son rapport Nations Unies S/1996/682/453 et 485 soulignait que ”le plan de génocide avait été connu longtemps à l’avance de certains membres locaux du FRODEBU occupant des postes de responsabilité, y compris au niveau des communes”.

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Les massacres des réfugiés Banyamulenge à Gatumba en 2004, un acte de génocide (Photo archives)

Mais depuis lors, ce rapport pourtant bien documenté a été classé sans suite au palais de verre des NU à Manhattan, à New York, et hermétiquement mis sous boisseau. Faut-il attendre que les coupables de tant de crimes odieux ne soient punis seulement que par la justice imminente de Dieu ? Je pose cette question aux Nations Unies et à toute la communauté internationale qui bafouent délibérement la convention de San Francisco de 1945 ainsi que tous ses accords additionnels, sur lesquels est fondée la charte même de l’ONU.

A suivre

Jean-Baptiste Rucibigango

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