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Réformes de la Fonction Publique : l’Etat en a profité

Par 2015-06-15 10:39:31

[caption id="attachment_1354" align="aligncenter" width="613"]Eric Manzi de la CESTRAR Eric Manzi de la CESTRAR[/caption]


 

 

 

Dans le but de rendre plus efficace la prestation des services publics à la population, le gouvernement rwandais a entrepris une série de réformes à la Fonction publique depuis la fin de la période dite d’ ” urgence” (1998) qui a suivi le Génocide perpétré contre les Tutsi, et les résultats actuels présentent des réussites incontournables, mais aussi quelques critiques sont à émettre.

La réforme dans la Fonction publique est un processus par lequel le ministère de tutelle opère des changements au sein du personnel ayant le statut de fonctionnaire de l’Etat. Des réformes périodique ont été entreprises au sein de la Fonction publique en 1998, 2004-2005, 2009-2010, 2014.

Dans un entretien avec le Président de la Centrale des Syndicats du Rwanda (CESTRAR), Eric Manzi mentionne quatre étapes de la réforme jusqu’à ce jour.

Selon lui, la réforme eut lieu pour la première fois en 1998, la plus grande vint en 2004-2005, pendant que celles de 2010 et 2014 peuvent être considérées comme de ”petites” réformes car elles ont consisté à corriger les lacunes laissées par les deux précédentes.

Le génocide ayant emporté la majorité des agents de la Fonction publique rwandaise et détruit les infrastructures, tout était à refaire après 1994.

C’est ainsi que dès l’arrêt du Génocide en 1994, le Gouvernement s’est attelé à la réhabilitation des infrastructures et au renforcement des capacités institutionnelles afin de pouvoir gérer le pays.

On ne peut donc pas parler des réformes successives sans mentionner leurs motivations qui ont toujours correspondu aux besoins du moment.

La période ” d’urgence” et la réhabilitation institutionnelle

Durant cette ” période d’urgence” ,1994-1998, le recrutement du personnel s’est fait sans tenir compte des compétences ni des qualifications, la majeure préoccupation étant celle d’acquérir un personnel pouvant faire marcher les activités de l’Etat.

Néanmoins, il faut noter que, bien qu’il y ait eu placement des agents aux différents postes sans tenir compte de leurs qualifications, il y avait en même temps des survivants du Génocide et des rapatriés de 1959 ayant des diplômes universitaires diversifiés voire qualifiés au haut niveau, certains d’entre eux ayant de riches expériences professionnelles.

Les textes juridiques étaient alors quelque peu piétinés ou du moins, il n’y en avait pas de fiables.

La réforme de 1998 et la période de relance économique

A la fin de la période d’urgence, les services de la fonction publique fonctionnent mais il manque toujours des performances, par contre, il y a un pléthore d’agents.
Dans certains services, on constate parfois qu’il ya des fonctionnaires fantômes, c’est-à-dire qui apparaissent sur les listes de paie sans pour autant être réellement en fonction.

C’est alors qu’intervient la première réforme dite ”grande réforme”, parce que depuis 1995, certains ajustements étaient faits notamment pour ce qui est des listes des barèmes salariaux des agents.

Selon le Président de la CESTRAR, Manzi , ”l’objectif majeur de cette réforme, qui sera d’ailleurs le même pour les réformes suivantes”, était d’améliorer l’aspect des prestations des agents, le fonctionnement et le rendement des institutions publiques ainsi que des institutions administratives décentralisées.”

Manzi souligne qu’il y a aussi des objectifs spécifiques qui en ont découlé tel que la réduction de ce pléthore d’agents et la lutte contre l’existence des agents fantômes, tout en recherchant des agents qualifiés.

La réforme de 2004-2005 et les programmes d’accompagnement

C’est dans le cadre de cette relance économique qu’intervient la réforme de 2004-2005 qui touchera d’ailleurs un nombre important d’agents de l’Etat.

Toutefois, le Gouvernement n’abandonne pas entièrement ces agents déflatés, car pour ceux qui n’avaient pas de qualification, il leur a accordé la chance de continuer leurs études avec bourse à l’appui, tandis que ceux qui voulaient intégrer le monde des affaires, il leur a créé un fonds de garantie à cette fin, leur facilitant ainsi un accès au crédit bancaire.

Le constat qui s’en est suivi est que les résultats de cette stratégie de reconversion n’a pas produit les mêmes effets.

Selon ce syndicaliste, une grande réussite a été enregistrée dans le camp de ceux qui ont poursuivi leurs études car ils ont ramené des qualifications qui leur serviront par la suite à être plus performants à un éventuel futur emploi.

Jean Baptiste Ruvugabigwi, est un avocat de 55ans qui était simple employé dans la fonction publique et quand il a été déflaté, il a commencé ses études de droit à l’Université libre de Kigali et après 4 ans ses études ont été sanctionnées par un diplôme de licence en droit. Il n’a pas voulu demandé du travail.

” Armé de mon diplôme en poche, je ne devais pas continuer à demander du travail , je suis au barreau de Kigali et je trouve cela intéressant car je travaille en toute conscience dans le respect de la loi. C’est grâce à la bourse que j’ai eue après la réforme de 2006 que j’ai fait le droit, que je suis devenu avocat.”

Pour ceux qui ont versé dans le monde des affaires, tous n’ont pas réussi, certains ont lamentablement échoué, et pourtant ils avaient des crédits à payer. Mais d’autres ont pu commencer une nouvelle vie.

Madame Alphonsine Uwamurera fut de la catégorie de ceux qui ont opté pour des projets bancables et elle a bénéficié d’un prêt pour élevage de porcs, dans le district de Nyaruguru et au début le projet a eu des problèmes très sérieux car elle a pu seulement rembourser le crédit de la banque, mais il lui a fallu aller se ressourcer chez les autres éleveurs pour maitriser les détails du petit élevage.

”J’ai dû stopper pour faire des voyages d’études dans la prison de Karubanda et à la ferme du séminaire de Karubanda pour savoir comment entretenir les porcs. J’ai dû démarrer sur les nouvelles bases. Je sais comment nourrir les porcins, comment les engraisser et négocier avec les bouchers. C’est après cinq ans que mon projet est stable.

En ce qui concerne notre renvoi de la fonction publique, je peux vous dire que la soi disante réforme est un calvaire car on perd du travail sans avoir commis une faute professionnelle et puis on n’a pas de choix on doit s’y conformer. Le problème c’est le stress que l’on vit après la réception de la lettre qui annonce la fin du contrat mais le reste dépend des circonstances, je suis devenue une paysanne mais je fais vivre ma famille.”

Elle a accepté de travailler dans le milieu rural, elle a quitté les bureaux pour les champs et la ferme. Il ya d’autre qui par leurs savoirs professionnels ont su profiter de leur liberté pour faire des bénéfices.

Ainsi par exemple, il ya quelqu’un sous couvert d’anonymat qui a lancé sa compagnie de production audiovisuelle et s’en tire très bien. ” Je ne peux plus accepter un travail dans le public car c’est la perte du temps, j’ai mon temps libre et je m’organise pour répondre à la demande du marché, mais dans la fonction publique on mettait toujours mes compétences professionnelles en doute . Des fois, j’ai remarqué que la réforme est bénéfique.

 

[caption id="attachment_1355" align="aligncenter" width="560"]Les syndicalistes ne veulent pas  que le travailleur soit toujours victime Les syndicalistes ne veulent pas que le travailleur soit toujours victime[/caption]


 

La réforme de 2010-2014 et la stratégie de réinsertion

Manzi considère que la réforme de 2010 et la plus récente de 2014 comme étant venues corriger ou parachever les deux précédentes, mais un fait nouveau est que l’on y assiste à la réinsertion des agents déflatés dans de nouvelles institutions.

Néanmoins, cette nouvelle restructuration n’est pas sans affecter même les agents retenus, car parfois réinsérés dans des branches lointaines sans tenir compte de leur situation familiale, comme l’indique cette maman (elle a choisi l’anonymat) de quatre enfants dont le plus jeune a un an et demi, transférée de Kigali à Huye lors de la récente restructuration au sein de l’Université du Rwanda (UR).

Encore faut-il ajouter que tous ne sont pas réinsérés, ceux carrément éliminés venant alourdir la liste des chômeurs eux-mêmes déjà pléthoriques.

Effets de la réforme dans la fonction publique

Après la perte d’emploi certains ont bénéficié d’une bourse d’études et d’autres ont opté pour des projets bancables et ont démarré un business.

Ceux qui ont réussi dans leurs nouvelles tentatives affirment que la réforme a été bénéfique pour eux mais il ya aussi qui ont plusieurs tentatives infructueuses pour qui la réforme signifie le renvoi définitif et la perte de l’emploi pour de bon.

Selon Alexis Ntagungira, directeur du service de gestion de la fonction publique qui assurait l’intérim du secrétaire permanent au ministère de la fonction publique, la réforme au sein de la fonction publique est toujours dynamique et son objectif est de rendre efficace le service dans la fonction publique.

Il a expliqué par voie téléphonique : ”Dans le service public on ressent les effets positifs de la réforme car elle a permis de placer les personnes qu’il faut dans des places qu’il faut. Même ceux qui ont été frappés par la réforme en ont tiré profit car il ya ceux qui se sont orientés dans d’autres activités rentables et d’autres qui ont trouvé un bon travail après les études.”

La réforme signifie la compression du personnel

Quand la réforme a débuté en 1999, les compétences professionnelles et surtout académiques étaient le principal mobile de la réforme. Mais en 2014, ceux qui n’avaient pas de papiers académiques en ont eu, et puisque la réforme est dynamique le processus est en marche.

Pour ceux qui sont encore en fonction, la compression du personnel et le souci d’une efficacité sans personnel pléthorique explique en gros la propension à opérer des changements dans le public et dans le privé. Ceux qui ont voulu s’exprimer parlent d’une insécurité au travail.

”Quand on voit qu’il ya toujours des changements qui frappent nos collègues et que l’on sait que cela doit continuer on n’a pas la conscience tranquille. Actuellement il faut travailler tout en s’attendant à céder la place le lendemain car il ya ceux qui acceptent des conditions salariales inférieures pour occuper un poste qui était déjà occupé. C’est la précarité de l’emploi, il faut trouver une façon de créer son propre business et éviter de demander du travail,” a t- on affirmé.

La réforme au travail frappe un employé car il ya toujours ceux qui perdent l’emploi et qui ont besoin de travailler jusqu’à l’âge de retraite. Ceux qui ont été frappés et qui ont su tirer profit des opportunités se sont bien reconvertis ailleurs. Il y a d’autres qui n’ont pas réussi à se reconvertir et qui vivent une angoisse existentielle, pour eux la réforme est mauvaise. Dans la classification des animaux Darwin a démontré que les espèces les plus résistantes restent, alors que les faibles disparaissent, il en est de même pour le vent de la réforme.

A qui profite les réformes et quel est leur avenir ?

Selon le syndicaliste Manzi, ”l’Etat a largement profité de ces réformes dans l’amélioration de ses services, tandis que le travailleur en a simplement été le bouc émissaire.”

Pour lui, le pays doit le progrès économico-politique et social actuel, pour une bonne part, à ces réformes successives.

Par contre, elles ont généré un taux élevé de chômage et de sous-emploi.
Pour, Jean Mitari, cet ingénieur agronome qui tend vers la retraite, ” ces réformes sont un obstacle majeur aux personnes d’un âge supérieur à cinquante ans car, lors de la réinsertion, il semblerait que l’on tient aussi compte de l’âge comme c’est fait actuellement lors de nouveaux recrutements”.

Pour les réformes éventuelles à venir, Manzi prodigue un conseil au Gouvernement lui recommandant de la prudence.

”D’habitude, la Fonction publique constituait une garantie et une sécurité de l’emploi pour ses agents, mais actuellement il y sont mentalement instables.”

Selon Manzi, les travailleurs ont toujours les yeux rivés sur le secteur privé où ils espèrent gagner un salaire relativement important car, enfin de compte, la Fonction publique n’est plus enviable étant donné que l’on y est viré d’un moment à l’autre.

Pascal Niyonsaba & Jean Louis Kagahe


 

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