Les tradi-praticiens appelés aussi "tradi-thérapeutes" guérissent les patients par l’exercice d’une pratique médicale non conventionnelle reposant sur des approches présentées comme traditionnelles dans certaines communautés africaines. Ibrahima Mané est un médecin sénégalais, spécialiste en épidémiologie qui combine médecine traditionnelle et médecine moderne dans son cabinet à Dakar. Il fait le point sur les contours de cette pratique.

La Nouvelle Relève (LNR)　 : Vous êtes spécialiste de la médecine moderne en épidémiologie et vous combinez ça avec la tradi- thérapie. Qu’est-ce qui vous l’a inspiré　 ?

Dr Ibrahima (IM)　 : A un certain moment, j’ai souffert simultanément des deux sortes de cancer, et la médecine moderne dite scientifique a été incapable de me traiter. Quand je me suis tourné vers la médecine traditionnelle, le tradi-thérapeute m’a soigné avec succès. Depuis lors, j’y ai cru, et aujourd’hui, j’ai ouvert un cabinet à Dakar où je traite mes patients en me servant des deux approches, à savoir　 : scientifique et traditionnelle.

LNR　 : Comment parvenez—vous à combiner les deux approches　 ?

Dr IM　 : Vous savez, les pratiques médicales scientifiques se concentrent sur le lieu de l’organisme où la maladie prédomine, tandis que le tradi-therapeute soigne le patient dans son entièreté, c’est-à-dire du point de vue physique et mental. Quand je soigne, je vais jusqu’à l’origine du mal, les causes lointaines de la maladie. Dans la pratique, je consulte selon les normes de la médecine moderne et traite selon la médecine traditionnelle, notamment avec des médicaments issus des plantes.

LNR　 : Certaines personnes associent, à tort ou à raison, la médecine traditionnelle à des pratiques sorcières ou occultes, quand bien-même il y a usage des médicaments issus des plantes ou autres substances naturelles. Qu’en dites-vous　 ?

Dr IM　 : Le traitement naturopathique n’est pas à assimiler abusivement à telle ou à telle autre pratique quand bien-même certains de ses aspects font montre d’un recours aux usages renfermant certaines vertus à caractère traditionnelle aussi. Il s’agit de l’art et la science du diagnostic, du traitement et de la prévention des maladies utilisant des thérapies et des substances naturelles. Le traitement naturopathique peut être utilisé efficacement de façon individuelle ou comme complément à un traitement médical conventionnel.　 Un Docteur en naturopathie combine les sciences cliniques modernes avec les pratiques de soins traditionnels.

LNR　 : Quels seraient donc ces quelques rapprochements dont abusent les mauvaises langues　 ?

DR IM　 : La médecine traditionnelle n’est pas le propre des Africains, d’autres peuples la pratiquent aussi, notamment dans la partie Orientale de notre continent comme en Chine, en Inde etc.

LNR　 : Pouvez-vous nous donner quelques exemples des pratiques efficaces dans ce sens　 ?

Dr IM　 : Si nous considérons l’acupuncture pratiquée dans la médecine traditionnelle chinoise et ses méthodes de diagnostic, l’on peut facilement penser que ça résulte de la magie. Acupuncture, massage et pharmacopée sont les trois mots-clés de la médecine traditionnelle chinoise. Souvent pointée du doigt pour son manque de rigueur scientifique, elle obtient pourtant des résultats qui attirent de plus en plus de malades. La médecine chinoise guérit le corps et l’esprit.Un autre exemple est celui de la médecine des ondes de choc qui traitent sans toutefois toucher la partie ou l’organe humain malade à l’exemple de l’expulsion des calculs des reins.

LNR　 : Toutefois, il y en a qui soignent sur base des croyances mythiques, d’autres partent des puissances quasi-magiques héritées des ancêtres, pendant que d’autres soignent uniquement avec des substances naturelles issues des plantes ou des animaux spécifiques　 ?

Dr IM　 : C’est vrai, la tradi-thérapie s’appui parfois sur des connaissances mythiques que la médecine moderne ignore. Il est par exemple recommandé aux malades de rhumatisme d’un certain âge de manger de la viande issue d’une partie précise de tel ou tel animal. Chez-nous au Sénégal, les marabouts font parler d’eux-mêmes pour leurs pratiques qui frisent la magie.

LNR　 : Comment pourrait-on parvenir à une certaine standardisation des normes de la médecine traditionnelle en Afrique　 ?

Dr IM　 : Un pas est en train d’être franchi. Personnellement, j’ai attrapé le train en marche, mais je suis à Kigali pour une troisième réunion de l’"　African Regional Organisation for Standardization" dont l’objectif est effectivement d’examiner comment les normes de la médecine traditionnelle pourraient être harmonisées au niveau régional et continental.Chaque pays définit ses politiques en la matière, il est donc question d’harmoniser ces différentes politiques.

LNR　 : La médecine traditionnelle fait progressivement ses preuves en matière de guérison, mais les services rendus par les tradi-thérapeutes ne sont nulle part couverts par des assurances-maladies tant publiques que privées, par contre, les prix de ces services ne cessent de flamber. Qu’en dites-vous　 ?

Dr IM　 : Ce genre de réunion qui se tient aujourd’hui est l’une des voies pour arriver un jour à un compromis pouvant intégrer les services de la médecine traditionnelle dans les assurances-maladies tant publiques que privées. La question majeure est d’abord la standardisation des normes.

LNR　 : Que peut-on attendre concrètement de cette fameuse standardisation des normes　 ?

Dr IM　 : Les médicaments devront parvenir au patient après avoir parcouru des étapes bien définies. Lorsque le médicament aura fait preuve de son innocuité mais plutôt de son efficacité, il sera aussi aisé d’harmoniser son prix. De là, une voie sera en cours pour être admis par les maisons d’assurance-maladies.

Jean Louis Kagahe