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La démocratie peut se pratiquer sans violence

Par 2015-05-11 12:52:53

Chaque pays ou nation ayant un passé historique propre et une culture particulière, toute pratique des principes démocratiques universels, devrait en tenir compte et éviter ainsi les violences qui en résultent.

Définie communément comme gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, la démocratie semble au départ exclure toute forme de violence, mais si l’on replonge dans l’histoire des pays dits « vieilles démocraties », force est de constater que les grandes révolutions qu’ils ont connues se sont déroulées dans un bain de sang et ont entaché des fortes violations des Droits de l’Homme.

Certaines des révolutions ont été fructueuses dans l’histoire et ont en elles-mêmes porté les principes tels que l’égalité des personnes devant la loi, l’électorat ou la liberté d’expression et bien d’autres qui sont rattachés aux droits de la personne.

Malheureusement, on assiste encore au 21 ème siècle au recours à la violence en Afrique pour réclamer ses droits, s’opposer à la candidature de quelqu’un à quelque échelon soit-il, ou pour combattre un régime dictatorial.

Déjà, en 1990, comme le rapporte Jeune Afrique N°1523 du 12 mars 1990, Jacques Chirac, alors Premier Ministre français, déclarait à Abidjan que la démocratie (multipartisme) était ” un luxe” et ”une erreur politique” pour l’Afrique.

Dans les faits, peut-on dire que les valeurs démocratiques ne sont pas compatibles avec les valeurs de la société africaine ? N’est-ce pas simplement un problème de méthode de démocratisation ? Est-il possible pour l’Occident de promouvoir la démocratie en Afrique avec des méthodes anti-démocratiques ?

Il existe des exemples d’alternance sans violence comme très récemment au Nigeria ou au Ghana, mais il ya des violences post électorales comme il en fut au Kenya, très récemment au Togo ou en Guinée Conakry, des violences qui expliquent en grande partie le disfonctionnement ou la non compréhension du jeu démocratique.

Deux écoles de pensée

Omar Khalfan demande de tenir en compte les réalités de chaque pays

Dans son entretien avec le journal « La Nouvelle Relève », l’analyste politologue,  le Professeur d’Université Omar Khalfan fait allusion à deux Ecoles de pensée dont la première préconise l’usage de tous les moyens possibles pour recouvrer ses droits et qui, par conséquent, légitime l’usage de la violence pour décrocher ce qu’on réclame.

La seconde école quant à elle exclut la violence dans toute Révolution ou pratique de la démocratie.

Un tenant de cette école, l’Anglais Edmond Park, soutient que les gens devraient militer pour une démocratie sans violence.

Il conçoit que la démocratie est une façon dont les individus et différentes institutions telles que les partis politiques, la société civile, les académiciens et autres, conviennent pour préparer un futur proche et lointain du pays.

Pour Frank Habineza, président du parti démocratique écologique du Rwanda (Green Democratic Party of Rwanda), la démocratie suppose le respect des droits fondamentaux comme le droit de choisir et même de plus en plus le droit à la différence.

Elle est fondée sur un principe de tolérance et pourtant, la thèse universaliste (rejet des différences culturelles) des droits de l’homme se révèle être porteuse d’intolérance en faisant passer ses idées comme des dogmes qu’on ne saurait critiquer ou questionner sans se placer en dehors de l’humanité.

Il est convaincu que s’il y avait un respect pour les jeux démocratiques qui se manifestent par les élections transparentes, il n’y aurait pas de contestations.

”Souvent il y a dysfonctionnement des institutions qui organisent le jeu politique pour saboter l’alternance. On pratique la corruption des électeurs et des commissions électorales ainsi que l’appareil judiciaire pour gagner les élections. On tente de modifier la constitution pour se pérenniser au pouvoir. ”

La démocratie idéale n’existe pas

 

[caption id="attachment_904" align="alignnone" width="769"]Les observateurs  favorisent la crédibilité des élections pour moins de violences (Photo archives) Les observateurs favorisent la crédibilité des élections pour moins de violences (Photo archives)[/caption]

Dr Vénuste Karambizi, professeur à l’Université libre de Kigali, reste convaincu que la démocratie a trois éléments essentiels que ce soit en Occident ou en Afrique.

Il a parlé du libéralisme, qui est la liberté tangible d’entreprendre, de penser qui évite une orientation monolithique.

Le deuxième élément de base est l’électoralisme qui consiste à pratiquer des élections quand il le faut pour attribuer des tâches aux représentants du peuple.

Le troisième élément indispensable de la démocratie est le multipartisme qui est la liberté de créer des formations politiques capables d’entrer en compétition pour le pouvoir.

”Quand ces trois éléments sont exercés honnêtement c’est la démocratie. Mais il ya des pays où ces trois éléments n’existent pas mais qui se disent démocrates.”

Le Dr Karambizi a montré que dans ce sens, il ne faut pas diaboliser l’Afrique que même en Occident la démocratie idéale n’existe pas.

Selon lui, il faut considérer la réalité de chaque pays africain pour constater l’adaptabilité de l’idéal démocratique.

Dr Karambizi admire la démocratie au Sénégal, l’alternance démocratique au Benin, au Ghana et au Nigeria, il reconnait la démocratie en Afrique du Sud et condamne l’indiscipline populaire. Pour les violences post ou ante électorales qui secouent le continent, il revient sur les exemples à suivre et à imiter où l’alternance se fait sa violence.

”En Afrique ne nous jetons pas les fleurs. Lorsque la compétition se fait de façon malhonnête, les plus forts écrasent les faibles. A travers l’Union Africaine, on devrait imposer des règles positives en partant des exemples de réussite démocratique en Afrique. L’Occident, en soutenant les régimes corrompus, le fait pour ses intérêts et les Africains ne s’engagent pas.”

Il ajoute ”Pire, certaines grandes ONG sont dirigées par une élite des droits de l’homme qui agit en symbiose avec les grands donateurs et les pouvoirs politiques (africains ou occidentaux) et livrent des rapports discutables. Il s’agit de la ”philanthropie hégémonique” qui gangrène le jeu démocratique en Afrique.”

Cette assertion corroborerait le fait que l’aide au développement apparait comme une prime à la démocratie. Cela pose un problème d’égalité de traitement si chère à la démocratie. Aussi, la communauté internationale n’intervient promptement que dans des pays où les intérêts internationaux sont importants.

Les réalités des Etats devraient être prises en compte

Selon le Prof Omar, « bien que les principes de la démocratie sont universels, et impliquent ce qui a trait à la lutte contre la corruption, les élections, la jouissance des doits fondamentaux, etc , leur mise en pratique diffère d’un pays à un autre »..

Il soutient que la démocratie à l’américaine, à la française ou à l’anglaise n’est pas nécessairement celle qui devrait s’appliquer par exemple en Afrique où les réalités de chaque pays diffèrent elles mêmes d’un pays à un autre.

Le comble, c’est que, dit-il, les pays africains cherchent à copier substantiellement les pratiques démocratiques de l’Occident.

D’après les recherches comparatives menées en Politique comparée, chaque pays a son histoire et sa culture qui implique l’éducation de son peuple, la religion, les mœurs et usages quotidiens, et chaque démocratie devrait en tenir compte.

A l’époque de la lutte pour l’indépendance des pays africains et par la suite, leurs leaders s’en sont tenus aux principes démocratiques universels et se sont méfié de leurs réalités culturelles et les violences actuelles qui en sont le corollaire.

Les revendications de crise identitaire, signe d’un échec

[caption id="attachment_903" align="alignnone" width="769"]Pierre Nkurunziza et Paul Kagame Pierre Nkurunziza et Paul Kagame[/caption]


 

Pour Frank Habineza, les mouvements de contestation en période électorale sont des signes d’un malaise populaire, des signes d’un jeu démocratique détourné.

”Tant qu’un chef d’Etat est décidé à rester au pouvoir, son monopole sur l’Etat semble souvent lui permettre de tenir le jeu politique formel et d’assurer sa réélection. A ces éléments peu favorables, vient s’ajouter l’armée ou la police qui s’affrontent avec les manifestants d’où des violences. Ainsi la manipulation des communautés de base par les leaders politiques est l’une des causes de cette situation qui débouche sur des affrontements interethniques comme il en fut au Kenya. Parfois certains candidats renoncent à faire campagne dans certaines localités...”

Sur ce point, le docteur Karambizi constate que c’est un échec pour les dirigeants qui n’ont pas mis en place des mécanismes afin d’éviter ces violences. La vraie compétition permet au meilleur d’émerger. ”Chacun devrait marier dans sa case, il ne faut pas attendre que l’Occident vienne le faire pour nous s’il ya des méthodes non démocratiques qui risquent de fâcher la population il faut inventer des méthodes pour corriger,” a-t-il expliqué.

Malheureusement, a-t-il continué, il ya des pays qui ont échoué dans l’exercice du jeu démocratique et qui n’existent que de nom, il a cité la Somalie, la RCA et il a affirmé que si la sagesse ne gagne pas au Burundi, il ya risque de tomber dans le syndrome de la Somalisation.

La consolidation des institutions est une priorité

Bien que des violences électorales éclatent encore de gauche à droite dans certains pays africains, le Professeur Omar considère qu’il ya lieu d’espérer un changement de l’état des choses.

Il souligne que pour sortir de cette situation conflictuelle, les dirigeants doivent mettre en place et consolider les institutions.

Bien plus, ces institutions n’ont besoin que d’être indépendantes et être en mesure de prendre des mesures et décisions que leur confère la loi.

Le problème qui se pose encore est que « les gens considèrent les faits tels qu’ils se présentent dans l’immédiat, comme qui dirait que rien n’a été préparé d’avance » pour reprendre Edmond Park.

« L’exemple actuel du Burundi voisin est expressif dans la mesure où, le fond du problème ne repose réellement pas sur le contenu de la Constitution Nationale et encore moins sur les Accords d’Arusha, mais plutôt sur la fragilité des institutions », dit le Professeur.

Un autre fléau qui est à combattre avec énergie, c’est l’individualisme des acteurs politiques qui ne leur permet pas d’avoir une vision plus élaborée au profit national, et s’attardent aux stratégies qui aboutiront à leurs intérêts et ceux de leur entourage.

Pour que l’alternance politique n’ait plus de difficultés à se concrétiser sur le continent, selon Frank Habineza, il faut une culture de l’alternance politique qui devrait se fonder sur l’indépendance de la justice, la liberté, l’égalité devant la loi, la règle de la majorité et la consultation du peuple par voie électorale comme dans les démocraties occidentales.

” Il faut restreindre les pouvoirs des Présidents qui apparaissent comme des monarques et qui se croient inamovibles car pratiquant le tribalisme, le népotisme, la corruption et la concussion pour se maintenir au pouvoir. Ce dernier ne devrait pas paraître héréditaire comme l’a montré le Gabon, le Togo et la RD Congo : Ali Bongo, Faure Gnassigbé et Joseph Kabila ont remplacé leurs pères sans le consentement de leur peuple. Et ces situations politiques qui empêchent l’alternance sont en général provoquées par la faiblesse des institutions politiques : régime présidentiel, constitutions fragiles, assemblée pratiquement monolithique sans contrepoids solides.” Explique Frank Habineza.

Le Rwanda puise dans les valeurs de sa tradition ancestrale

[caption id="attachment_901" align="alignnone" width="769"]Me Laurent Nkongoli, Commissaire à la CNDP (Foto James R) Me Laurent Nkongoli, Commissaire à la CNDP (Foto James R)[/caption]


 

Dans un entretien avec Me Nkongoli, Commissaire à la Commission Nationale des Droits de l’Homme, le succès actuel du Rwanda trouve sa justification dans le recours aux valeurs renfermées dans la tradition ancestrale et sa Constitution qui préconise le dialogue des Rwandais pour trouver des solutions durables au profit de la nation.

L’Article 9, point 6 de la ladite Constitution emphase sur les principes fondamentaux de la démocratie tandis que l’article 48, point 1 revient sur le devoir de chaque citoyen , civil ou militaire, de respecter et d’observer la loi.

Des activités telles que le Travail communautaire « Umuganda » et d’autres forums comme « Umushyikirano », « Umwiherero » « « Itorero », ou « Ingando » sont autant d’exemples qui permettent aux Rwandais d’échanger sur l’avenir du pays, sans pour autant ruminer d’user de la violence pour accéder au pouvoir.

Pour éviter des violences éventuelles au nom de la démocratie, Me Nkongoli recommande leur prévention en fustigeant certains langages immoraux des politiciens opportunistes qui confondent leur appartenance à des partis politiques comme une occasion de confrontation avec le régime en place.

L’essentiel, dit-il, et accepté, c’est la divergence des opinions qui doivent ressortir dans un programme politique allant dans le sens des aspirations du peuple, c’est-à-dire des innovations dans différents secteurs de la vie nationale tel que l’éducation, l’agriculture et autres.

Me Nkongoli recommande par ailleurs à ceux qui s’improvisent politiciens de s’inspirer des démocraties de première heure comme la Grèce antique pour savoir comment la Société était gérée.

Un autre vœu est la création d’une école politique au même titre que l’Ecole Nationale d’Administration en France qui est reconnue grâce aux politiciens qu’il forme, et ainsi seuls des gens instruits en la matière pourront s’investir dans le jeu politique.

La violence ne résout pas nécessairement les conflits

Il n’est pas besoin de recourir chaque fois à la violence populaire pour prétendre résoudre les conflits liés aux mécanismes électoraux, car non seulement les gens y laissent leurs vies, mais il ya aussi destruction des infrastructures et suspension des services avec tout ce que ça comporte comme conséquences sur les économies nationales.

Légitime ou illégitime selon sa motivation, le recours à la violence s’attire une répression qui risque de s’enliser et dégénérer en guerre civile.

Une preuve parlante est celle des « Printemps arabes » qui a engendré une guerre civile dont les Libyens ou les Yéménites sont encore victimes. Les guerres engagées au Moyen-Orient au nom de la démocratisation des institutions en place et la lutte contre le terrorisme sont autant d’exemples qui défient l’usage de la violence.

Néanmoins, la violence pourrait être utile et légitime lorsqu’il s’agit de combattre un régime dictatorial car cela porte parfois ses fruits comme il en aura été le cas des grandes révolutions dans l’histoire, ou récemment le cas du Burkina-Faso avec Blaise Compaoré, et plus loin la chute de Ben Ali en Tunisie ou de Hosni Moubarak en Egypte.

Jean Louis Kagahe & Pascal Niyonsaba


 

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