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Les années 2013, 2014 et 2015 sont des années charnières pour le continent africain car il ya des vents de démocratisation qui ont balayé des régimes dans le monde arabe dans ce qu’on a qualifié de « printemps arabe. Et le même vent semble souffler vers l’Afrique subsaharienne comme au Burkina Faso, en RDC, au Burundi sous les signes de contestation. Mais il ya d’autres pays qui ont des vents doux comme le Nigeria qui a connu des élections transparentes et une alternance pacifique. Le Docteur Venuste Karambizi de l’université libre de Kigali a accepté de parler à bâtons rompus de sa vision de la démocratie et de la démocratie en Afrique.

Interview…

La Nouvelle Relève (LNR) : L’on dit souvent que les valeurs démocratiques sont incompatibles avec les valeurs de la société africaine. Est-ce vrai ?

Le Dr Venuste Karambizi : D’abord la démocratie n’est pas une invention de l’Occident et n’est pas la propriété de l’Occident. Sans devoir m’attarder à la définition étymologique de la démocratie, il faut comprendre que c’est un système de gouvernement dans lequel le peuple tient un rôle primordial. Le peuple se gouverne lui-même, mais puisque tous les citoyens ne peuvent pas gouverner, ils se choisissent les représentants auxquels ils confient une mission d’exercer le pouvoir.

Ensuite, ce n’est pas une propriété de l’Occident car avant la colonisation, il y avait des entités étatiques en Afrique qui étaient gouvernés démocratiquement. Même au Rwanda sous Kigeli Mukobanya (le monarque rwandais) il y avait des entités claniques dirigées par un chef et le Roi du Rwanda assurait l’autorité centrale. L’on dit souvent que la Grèce antique est la première démocratie et pourtant les femmes et les citoyens d’origine étrangère n’avaient pas le droit de voter.

Enfin, je tiens te dire que l’Humanité est composée de plusieurs peuples d’orientation diverses (économiques et géographiques), le monde a 183 pays qui ont des éléments communs et des différences. Il appartient à chaque pays d’adapter la démocratie selon ses problèmes et ses réalités. En parlant de la démocratie, il faut tenir compte de spécificités des autres et la démocratie idéale peut ne pas exister.

LNR : Que dire de l’aide au développement qui est en fait une prime à la démocratie ?

VK : Je vais commencer par te faire comprendre le monde actuel. Le monde est constitué de pays et de personnes égoïstes. L’Occident qui se dit démocrate ne l’est pas, ils ont des intérêts à défendre. Ils ont condamné le coup du Capitaine Sanogo au Mali et n’ont pas condamné celui de Michel Djotodia en RCA qui a échoué par lui-même après. L’intervention en Libye avait pour but de déloger un « dictateur Khadaffi » mais dites-moi les occidentaux n’ont-ils pas détruit la Libye ? Il faut voir la mort de Sadam Hussein et la destruction de l’IRAQ. Actuellement la France vend des rafales à l’Arabie Saoudite et au Qatar sont-ils des Etats démocratiques ? On ne peut pas combattre et soutenir la dictature. Le monde occidental n’est pas avancé en démocratie, ils sont économiquement puissants et imposent leur vues aux pays pauvres. La démocratisation importée est assimilée à une occidentalisation de l’Afrique (mission civilisatrice) qui provoque du rejet à travers la montée des micro-nationalismes. Ainsi, est considéré comme terroriste et ennemi de l’Occident, toute personne qui « défie » cette « civilisation ».

LNR : Votre point de vue sur l’alternance et les contestations électorales en Afrique ?

VK : Avant de stigmatiser l’Afrique, jetons un regard sur le monde. L’Afrique a des problèmes et le reste du monde a aussi des problèmes : aux USA par exemple il ya des contestations à cause de la discrimination des policiers blancs vis-à-vis des Noirs, exemples au Maryland. En France, on tolère un parti comme le Front National qui a des analogies avec les partis fascistes. Que dire de Robert Menard qui fut longtemps défenseur de la presse libre à la tête de Reporters Sans Frontières et qui montre son visage par la sélection des enfants par des prénoms musulmans alors qu’il a été élu maire ? Revenons à l’Afrique qui a des populations humaines comme les autres. Nous sommes un monde animal mais civilisé qui a des égoïsmes. Ces égoïsmes expliquent les dictatures qui bafouent les droits des citoyens et qui causent des contestations. Mais nous devons considérer l’Afrique comment un continent et non comme un pays comme le font les occidentaux. Il ya des démocraties en Afrique et il ya aussi des pays qui n’ont pas atteint la maturité démocratique. Ne soyons pas monolithiques.

LNR : Mais il ya des violences ante ou post électorales ?

VK : Il ne faut pas généraliser, il ya eu la tentative de modifier la constitution au Burkina Faso, il en a été le cas en RDC, au Burundi il ya un problème de troisième mandat. Mais il ya des pays comme le Sénégal, le Ghana, le Benin ou très récemment le Nigeria où la transition a été sans heurts. L’Europe a des problèmes tout comme l’Afrique. La Grèce n’est pas toute l’Europe, mais les contestations électorales en Afrique se retrouvent dans des pays isolés. L’essentiel c’est d’éviter le tripatouillage électoral et la manipulation constitutionnelle.

Des propos recueillis par Pascal Niyonsaba