https://www.traditionrolex.com/25 Le négationnisme et le révisionnisme du génocide contre les Tutsi

Le négationnisme et le révisionnisme du génocide contre les Tutsi

Par 2015-05-04 18:43:16

[caption id="attachment_872" align="alignnone" width="768"]Roméo Dallaire, au milieu, se souvient bien que personne n'a voulu mobiliser les troupes étrangères pour arrêter les massacres (Photo RDF) Roméo Dallaire, au milieu, se souvient bien que personne n’a voulu mobiliser les troupes étrangères pour arrêter les massacres (Photo RDF)[/caption]


 

Suite de 1228

La MINUAR assiste à un génocide dès le 7 avril 1994. Pourtant, malgré les SOS lancés très tôt par des organisations humanitaires comme Oxfam ou l’Acat et le témoignage du représentant à Kigali de la Croix rouge internationale, cette qualification attendit le 25 mai pour être employée par la Commission des Droits de l’homme de l’ONU. Le 30 avril encore, Madeleine Albright, au nom des Etats-Unis, avait refusé que l’ONU emploie le terme « génocide ».

Au Conseil de sécurité, seuls les délégués tchèque et néo-zélandais s’efforcèrent, en vain, d’obtenir un renforcement de l’action onusienne pour sauver les civils menacés. La seule intervention spéciale fut celle de l’opération française dite Amaryllis pour évacuer les expatriés européens ainsi que toute une fraction de la nomenklatura hutu. Roméo Dallaire se souvient amèrement : il y avait 500 militaires Français à l’aéroport, 1000 Belges à Nairobi, 250 Marines Américains à Bujumbura et personne ne jugea bon de les mobiliser contre ces massacres !

En fait, à Washington comme à Paris, le regard porté sur le Rwanda reste celui d’un africanisme à l’ancienne, avec ses querelles « tribales », doublées dans ce cas par un contentieux entre un « peuple » et des « féodaux ». L’historienne américaine Alison Des Forges montre que le prisme somalien confortait les responsables de l’Afrique au Département d’Etat dans leurs « vieilles catégories ».

« Pour eux, la « tribu » tutsi était constituée de guerriers arrogants [qui plus est grands et élancés] venus du Nord-Est pour imposer leur contrôle aux indigènes hutu [petits et trapus], déclenchant ainsi un conflit qui allait durer des siècles. Dans cette perspective, la haine et la violence étaient « séculaires » et il était donc impossible d’y mettre un terme. En insistant sur la nature permanente du conflit rwandais, les responsables trouvaient une nouvelle raison de se tenir à l’écart d’une situation très complexe difficile. » 

C’était aussi la vision de François Mitterrand : des « aristocrates face à des Sans-culottes » d’après son biographe Jean Lacouture, une vision ethnique et paternaliste héritée de l’infanterie de marine coloniale selon une formule de Jean- François Bayart. On voit combien il était facile aux autorités rwandaises responsables du génocide de faire passer leur message sur la « colère populaire » et les « luttes interethniques », véritable cache- sexe d’une option politique raciste.

La Mission parlementaire d’information qui travailla en 1998 sur la politique française au Rwanda souligne « une sous- estimation du caractère autoritaire, ethnique et raciste du régime rwandais », selon J.- P. Chrétien. Comment avoir ignoré les « 10 commandements du Hutu » diffusés par Kangura en décembre 1990, dans son numéro 6, qui présentait au verso le portrait de François Mitterrand accompagné de la devise « Les vrais amis sont reconnus dans les difficultés » ? L’attaché de défense à l’ambassade de Kigali, René Galinié, redoutait pourtant dès le 24 octobre 1990 « l’élimination physique à l’intérieur du pays des Tutsi- 500.000 à 700.000 personnes- par les Hutu ».

 

Quatre ans après les faits, en 1998, le rapport parlementaire français concluait par ceci :

« La diplomatie française n’a pas fait une analyse suffisante des arguments, des méthodes et de l’idéologie de ceux qui, dans le gouvernement rwandais et dans l’akazu, refusaient a priori tout accord avec le FPR et poussaient au massacre des Tutsi et des Hutu modérés. La menace d’un possible génocide a été sous- estimée, alors que se multipliaient dans la plupart des partis politiques, des branches extrémistes ouvertement racistes ». AN, vol. I, pp. 134-187.

Les autres grands rapports, celui du Sénat belge en 1997, celui de l’Organisation de l’Unité Africaine en 2000, concluent dans le même sens. Celui de l’OUA souligne « qu’il s’agit certainement de l’un des cas de génocide le moins ambigu de ce siècle ». Il est difficile d’apprécier la part du machiavélisme politique, des préjugés sur l’Afrique, de la mauvaise information et du mépris de la recherche.

La confusion apparaît en tout cas identique dans les médias de l’époque. Pendant des semaines, il n’est question que de combats entre ethnies ou entre « rebelles » et forces armées. C’est la presse belge, notamment La Libre Belgique dès le 13 avril 1994, qui met en exergue la réalité du génocide. Le Monde attendra le 2 juillet pour le faire figurer en première page, avec des guillemets, en fonction du rapport que venait de diffuser la Commission des Droits de l’homme de l’ONU.

Outre la distance inouïe prise à l’égard des réalités humaines de cette tragédie et l’adhésion pure et simple aux thèses officielles, on remarque surtout la reprise benoîte d’une vulgate raciale particulièrement caricaturale. Un fossé stupéfiant s’affiche ainsi en France entre l’idéologie toujours en vogue sur l’Afrique et les acquis de la recherche scientifique depuis un demi- siècle. La dérive culturelle en l’occurrence nous semble plus grave encore que l’aveuglement politique.

A suivre…

Jean Baptiste Rucibigango


 

 

 

 

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